Il est le "Monsieur Culture" de France Télévisions. Un peu moins de deux semaines après la diffusion du "Grand Oral" sur France 2 - un projet qu'il a porté personnellement pendant un an et demi - Michel Field a accepté de faire un bilan de la programmation de ce concours d'éloquence produit par Kiosco, Elephant et Webedia, société éditrice de puremedias.com. L'occasion d'évoquer avec lui l'avenir de ce programme, mais aussi les autres projets de France Télévisions en matière d'émissions culturelles et de captations de spectacles vivants. Il sera notamment question du deuxième numéro du "Grand Echiquier" d'Anne-Sophie Lapix prévu très prochainement, mais aussi de l'installation d'une nouvelle case dédiée au spectacle vivant le samedi soir sur France 5. Au cours de cette entretien, Michel Field abordera aussi la difficulté d'intéresser le jeune public à la Culture classique en télévision.
Propos recueillis par Benjamin Meffre.
puremedias.com : L'audience du "Grand Oral" a été inférieure à 1,5 million de téléspectateurs. C'est une déception personnelle pour vous qui avez porté ce projet pendant un an et demi ?
Michel Field : Non, ce projet de faire une émission uniquement centrée sur l'art de la parole était un pari fou. Nous avions établi une fourchette possible d'audience. Nous sommes dans le bas de cette fourchette mais nous y sommes. Je ne dirais par "Vous n'avez fait que 1,5 million de téléspectateurs" mais "Nous avons fait 1,5 million de téléspectateurs en prime time avec un format totalement inédit". Et puis, on ne peut pas sans arrêt demander au service public d'innover, de prendre des risques, et ricaner le lendemain sur ses audiences. Ce qui est sûr, c'est que nous tirons les leçons de ce qui a été diffusé. Il y a plein de choses améliorables dans le format mais nous avons déjà une furieuse envie de continuer, de recommencer.
Cela veut donc dire qu'il y aura un deuxième numéro du "Grand Oral" ?
Oui, il y aura un deuxième numéro. La décision est actée. Nous allons réfléchir à toutes les améliorations qu'on peut apporter à l'émission. Il y a le programme et ce qui se passe après le programme. Sur Facebook, il y a un phénomène absolument incroyable : les deux vidéos tirées du "Grand Oral", celle de la prestation de l'avocate malentendante, Virginie, et celle du gagnant, Bill, sont à plus de dix millions de vues sur Facebook. C'est à dire qu'en une semaine, elles sont déjà dans le Top 15 des vidéos les plus vues de l'histoire de la page Facebook de France Télévisions. C'est un phénomène absolument original qui veut dire que pour la saison 2 du "Grand Oral", on va certainement beaucoup plus travailler l'approche numérique qu'on ne l'a fait lors de ce premier numéro. Si je veux être honnête, ma déception ne réside pas dans le score d'audience global en linéaire, dans les 1,5 million de téléspectateurs. En revanche, je pensais qu'on toucherait des cibles plus jeunes qu'habituellement sur France Télé, ce qui n'a pas vraiment été le cas. Ce qui se passe après la diffusion du programme, autrement dit cet engouement sur Facebook, montre qu'on peut toucher ce public plus jeune. A nous de mieux le sensibiliser avant la diffusion, pour qu'il soit devant l'écran le soir de la diffusion.
"Il y avait peut-être trop de candidats et trop de jurés dans 'Le Grand Oral'"
L'émission reviendra-t-elle sous la forme d'un unitaire ou de plusieurs émissions comme "Prodiges" ?
On va rester sur un unitaire en travaillant davantage la montée en puissance sur le numérique.
Avec quels aménagements pour l'émission ? Faut-il moins de candidats ?
On va discuter avec la production et faire un bilan avec eux. Je pense qu'il y avait peut-être trop de candidats et trop de jurés. La mécanique était peut-être aussi trop linéaire et cela manquait peut-être un peu de ruptures et de surprises. Mais c'est toujours facile de voir tout cela après-coup. Ce qui me ravit, c'est que l'étude qualitative autour du programme est excellente avec 96% de téléspectateurs qui trouvent que nous sommes en plein dans les valeurs du service public, dans l'audace, l'innovation. C'est un peu tout ce que la récente consultation citoyenne nous demandait.
N'y-avait-il pas aussi trop d'interventions extérieures aux prestations des candidats. On se rappelle que vous avez dû couper au montage la chanson de Laura Laune...
Oui, elle a un peu fait son coup de promo sur ce qu'elle a qualifié de "censure". Pour cette émission, on a finalement coupé des magnétos sur des grands moments d'éloquence politique. Les deux sketchs des humoristes ont été ratiboisés de 5 minutes à 1 minute 30. On ne pouvait pas couper la chanson au milieu. On l'a donc enlevée. C'est un petit bad buzz un peu con... Est-ce que c'était en plus vraiment utile d'avoir ces intermèdes-là dans l'émission ? Je ne suis pas sûr... Mais tout ça, on va le retravailler. Nous étions quand même assez contents du résultat avec la présidente (de France Télévisions, Delphine Ernotte, ndlr), qui a soutenu le projet depuis le début. Ce qu'on craignait beaucoup, c'était le côté gratuit et rhétorique des concours d'éloquence traditionnels. Là, sous l'éloquence, il y avait des parcours de vie, des choses émouvantes et intéressantes. C'est sans doute cet aspect-là qu'on va d'ailleurs valoriser encore davantage pour le deuxième numéro.
"Nous faisons de la case du samedi soir sur France 5 une case culturelle"
Vous avez annoncé récemment la création d'une case en deuxième partie de soirée sur France 5 avec du spectacle vivant. Quand sera-t-elle lancée et qu'y verra-t-on ?
Oui, nous faisons de la case du samedi soir sur France 5 une case culturelle. Pour l'instant, il y a une alternance en deuxième partie de soirée de documentaires artistiques et de captations de spectacle, une fois par mois. Mais le grand coup d'envoi de cette case sera donné cet été. France 5 va devenir le samedi soir la plus grande salle de spectacle de France. Nous allons être au plus près des festivals de l'été. Nous allons faire des captations en direct ou en léger différé des festivals d'Avignon, d'Orange, de Royan, et peut-être de Ramatuelle... Nous allons aussi peut-être faire une captation du "Trouvère" (un opéra-ballet de Giuseppe Verdi, ndlr) à Vérone aussi. L'idée, c'est que ce soit soit en deuxième partie de soirée - car les spectacles commencent souvent vers 21h30 en été, le temps que la nuit tombe - soit en prime, et si possible en direct. On va essayer de faire l'ouverture du festival d'Avignon en direct, tout comme l'ouverture des Chorégies d'Orange. Ce sera cette année le 150e anniversaire des Chorégies. Pour l'occasion, les deux orchestres de Radio France donneront la 9e symphonie de Malher ensemble. Nous serons partenaires de l'évènement que nous le capterons pour une diffusion sur France 5.
Ces programmes remplaceront donc les rediffusions du magazine "Echappées belles" le samedi ?
Oui, c'est ça. On commencera sans doute à partir du 29 juin avec la captation du concert du groupe Kassav, et on enchaînera avec les ouvertures des grands festivals dont France 5 sera cet été la terre d'accueil.
Avec l'idée de prolonger cette case à la rentrée la saison prochaine?
A priori. Ca va en tout cas nous permettre de tester l'appétence du public. Dans la consultation citoyenne, les téléspectateurs nous disent qu'ils veulent davantage de spectacles vivants. On les prend au mot !
"Nous voulons travailler la possibilité de faire des fictions dramatiques autour de grands classiques du théâtre"
N'y a-t-il pas une schizophrénie des téléspectateurs qui disent vouloir du spectacle vivant à la télé mais ne le regardent pas quand les chaînes en proposent ?
N'est-ce pas un peu le cas de nous tous à notre niveau ? On voudrait tous être plus exigent (rires). C'est humain. Plus sérieusement, si on arrive à avoir une case, qui ne soit pas à point d'heure, qui soit une case de spectacle vivant, de ballet, ça sera bien. A Orange par avance, il va y avoir un hommage à Placido Domingo (un célèbre chanteur d'opéra, ndlr) avec les ballets d'Antonio Gadès. C'est un spectacle qui peut être très populaire et très visuel. A Vérone, ça va être "Le Trouvère" avec la mise en scène de Zeffirelli qui est absolument chatoyante. On peut toucher avec cela plusieurs centaines de milliers de téléspectateurs. Je ne dis pas qu'on en touchera trois millions mais si on touche entre 500.000 et 700.000 téléspectateurs, le contrat sera évidemment largement rempli.
Voulez-vous faire à terme de France 5 la chaîne de l'offre culturelle classique de France Télévisions ?
Non, l'idée n'est pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul. On fait ça sur France 5 car ça peut être un très beau vaisseau amiral. On va réfléchir à garder du théâtre et de la musique plus évènementiels sur France 2 et France 3.
France Télévisions a récemment annoncé le renforcement du partenariat avec la comédie française. Concrètement, ça veut dire plus de théâtre sur les antennes de France 2 ?
Contractuellement, on fait déjà une à deux captations par an. On va en faire un peu plus cette année. Mais l'ambition de ce partenariat est encore plus grande. C'est de travailler la possibilité de faire des fictions dramatiques - pas des captations mais des réadaptations télévisuelles - de grands classiques. Je vais travailler avec Anne Holmes, la directrice des fictions de France Télévisions, sur ce sujet. C'est un projet passionnant.
"Le bilan de 'Culture Prime' est très prometteur"
Peut-on faire des programmes dédiés à la culture classique à la télévision qui soient regardés par les jeunes ?
A la télévision, sous sa forme habituelle, je pense que c'est très difficile. On le constate. En même temps, on ne peut pas ne pas donner à ce public plus âgé ce qu'il attend. Pour les jeunes, je crois beaucoup aux offres que j'ai lancées avec nos partenaires du service public sur Culture Prime parce que ces petits formats marchent.
Quel bilan faites-vous du lancement en novembre de ce nouveau média culturel sur les réseaux sociaux ?
Un bon bilan. Nous avons des vidéos qui dépassent 1,2 million de vues. Le modèle est basé sur le cross-postage des contenus par tous les partenaires de l'audiovisuel public (Radio France, France Télévisions, France Médias Monde, Arte, INA, TV5 Monde, ndlr)) participant à Culture Prime. Cela nous donne une puissance de feu terrible. Pour moi, c'est très prometteur. On vient d'arriver sur Youtube et Twitter. On va très prochainement s'ouvrir à Snapchat et Instagram. A partir de là, je pense qu'on va bien mesurer la capacité à éveiller l'intérêt des plus jeunes pour la Culture. On marche sur les deux pieds. On ressuscite des marques emblématiques comme "Le Grand Echiquier", on donne du spectacle vivant et en même temps, on lance Culture Prime.
"Le deuxième 'Grand Echiquier' sera autour de Renaud Capuçon, Laurent Gerra et d'Angèle"
Avez-vous justement plus d'informations sur le prochain numéro du "Grand échiquier" ?
On est à fond sur la deuxième prévue très prochainement en direct à Lyon, à la halle Tony Garnier. Ce sera autour de Renaud Capuçon, Laurent Gerra, et Angèle. Il va y avoir toute une floraison d'artistes, de chorégraphes. On va garder l'idée de rencontres improbables. Par rapport à la première, on aimerait que chaque artiste fasse des prestations un peu uniques, des créations pour le "Grand Echiquier".
puremedias.com vous propose de revoir la prestation en finale de Bill, le premier gagnant du "Grand Oral" :