Prise de contrôle anticipée ? La Commission européenne a validé, sous certaines conditions le vendredi 9 juin 2023, le rachat, par Vivendi – dont est actionnaire Vincent Bolloré – du groupe Lagardère et notamment de ses médias (Europe 1, "Paris Match", "Le JDD").
Moins d'une semaine plus tard, ce jeudi 15 juin 2023, Reporters sans frontières (RSF), pour qui la concentration des médias est un sujet d'alerte, est monté au créneau afin d'encourager la Commission européenne à poursuivre "une enquête approfondie" sur le "gun jumping". En clair, la question est de savoir si Vivendi est intervenu en amont du feu vert officiel sur la stratégie des entités du groupe Lagardère.
RSF de relever "les changements importants intervenus notamment dans les rédactions du 'Journal du dimanche' ('JDD') et de manière plus prégnante encore à 'Paris Match'". Les départs se sont multipliés. "Plus d'une vingtaine de journalistes sur soixante ont quitté la rédaction du magazine de gré ou de force ces derniers mois", a recensé RSF, parmi lesquels Hervé Gattegno, alors directeur des rédactions du "JDD" et de "Paris Match" mais aussi Bruno Jeudy, lorsqu'il était chef du service politique.
Parmi les autres faits marquants, corroborant une intervention de Vivendi sur la ligne éditoriale au cours de l'année écoulée, la rédaction s'était émue de la Une consacrée au controversé cardinal Robert Salah à l'été 2022. Une ancienne journaliste a par ailleurs publiquement dénoncé l'ingérence de Vincent Bolloré sur la ligne éditoriale de "Paris Match" en février. Tout cela "pourrait tomber sous le coup d'une prise de contrôle anticipée" mais n'aurait quoi qu'il en soit pas d'incidence sur l'offre publique d'achat. "S'il est établi, précise RSF, "ce 'gun jumping' exposera les parties prenantes à une amende pouvant atteindre jusqu'à 10% de leur chiffre d'affaires mondial".
Entre temps, la vice-présidente de la Commission européenne en charge de la concurrence, Margrethe Vestager, a affirmé, sur BFM Business, avoir "commencé une enquête" sur ce volet, qui pourrait prendre plusieurs mois. Mais rien n'est encore inscrit dans le marbre.
"Compte tenu des nombreux signaux attestant d'une emprise croissante de Vincent Bolloré sur les médias du groupe Lagardère avant même la validation du rachat, il est étonnant qu'une enquête pour prise de contrôle anticipée n'ait pas été lancée plus tôt", déplore RSF par la voix de Christophe Deloire, son secrétaire général. "Nous réclamons le déclenchement officiel d'une enquête sérieuse et approfondie, menée par la Commission européenne. L'opération de rachat est aussi une OPA sur l'indépendance des médias concernés."
Bien que les synergies entre les médias audiovisuels de ces deux groupes, CNews d'un côté et Europe 1 de l'autre, n'aient, elles aussi, pas attendu la validation de l'OPA, aucune mention de prise de contrôle anticipée n'apparaît dans le rapport publié le 9 juin.