"La réalité dépasse le fictif". C'est le titre de l'article paru ce mercredi à la Une du dernier numéro du "Canard enchaîné" et signé du conseil d'administration de l'hebdomadaire satirique. En fin de semaine dernière, un article du "Monde" avait évoqué l'ouverture d'une enquête préliminaire par le Parquet de Paris pour abus de biens sociaux et recel d'abus de biens sociaux. Cette procédure faisait suite au dépôt de plainte contre X déposé en mai dernier par le journaliste du "Canard" Christophe Nobili, qui soupçonnait l'existence d'un emploi fictif en interne. En l'occurrence, la compagne du dessinateur André Escaro aurait été rémunérée pendant près de 20 ans sans fournir le moindre travail.
Cette affaire a une résonance d'autant plus particulière qu'elle a été portée sur le terrain judiciaire par Christophe Nobili, qui a fait partie des journalistes ayant révélé en 2017 l'existence d'emplois fictifs dont aurait bénéficié Pénélope Fillon.
"Le symbole n'est pas mince !", peut-on lire dans l'article du journal, qui livre sa version des faits et explique que tout est parti de la volonté d'André Escaro de prendre sa retraite en 1996. Le dessinateur avait la particularité de réaliser chaque semaine les "cabochons" (petits dessins politiques) illustrant les échos de la page 2. "Soucieuse de préserver cette identité graphique tout à fait originale, la direction de l'hebdomadaire tente de le convaincre de continuer", indique le conseil d'administration du "Canard" en retraçant le fil des événements.
"Il cédera finalement, à condition que sa compagne, Edith, l'épaule en lui mâchant le travail. (...) C'est ainsi qu'Edith a été embauchée, en renfort d'André, lequel évidemment n'a plus touché un sou. Et que plus de 8.000 cabochons originaux ont été conçus au cours de ces vingt-six années", peut-on encore lire tout en apprenant que cette fameuse Edith est "journaliste professionnelle".
"L'enquête, dans laquelle les dirigeants du journal n'ont pas encore été tous entendus, déterminera si ce montage, qui peut, certes paraître un peu acrobatique, est attaquable ou non sur le plan administratif", consent à reconnaître le célèbre hebdomadaire, qui affirme que personne n'a été lésé dans cette affaire : "'Le canard' n'a pas l'habitude de jeter l'argent par les fenêtres et de rémunérer des fantômes".
Un article pour clore la polémique ? Pas si sûr. L'enquête préliminaire se poursuit et "Le Monde" fait état cet après-midi d'un communiqué signé par 14 salariés - "rédacteurs, dessinateurs, secrétaires de rédaction et correcteurs" - que la direction du "Canard enchaîné" aurait refusé de publier dans ses colonnes. "Le droit social français ne prévoit pas de rémunérer un salarié à la place d'un autre", se font fort de rappeler ces employés, qui regrettent que la direction n'ait pas écrit noir sur blanc le mot "faute", un terme qu'elle aurait pourtant admis en conférence de rédaction le 29 août dernier en référence à l'affaire.
Selon les signataires du communiqué, même si l'article qui figure à la Une du journal est signé des six administrateurs du journal, il n'aurait été rédigé en réalité que par Michel Gaillard et Nicolas Brimo, respectivement président des Editions Maréchal-Le Canard enchaîné et directeur général délégué.