Rodolphe Saadé cultive sa réputation d'interventionniste. Selon un article de "La lettre" publié le vendredi 24 janvier 2025, le leader de la CMA CGM, société de fret maritime à laquelle appartient le groupe RMC BFM, aurait exigé la suppression d'une enquête de BFM Business. Deux jours plus tôt, la chaîne révélait que l'entreprise Tiffany, joyau américain de LVMH, avait connu "une année noire" en 2024. Un article a donc été publié sur son site puis décliné en "Story" sur Instagram. Cette dernière a finalement été supprimée, révèle "La lettre", après un échange téléphonique entre Bernard Arnault, père d'Alexandre Arnault, ancien cadre de Tiffany dont la gestion a été mise en cause dans l'enquête, et Rodolphe Saadé.
Le premier se serait plaint auprès du deuxième de cet article jugé "à charge", écrit "La lettre". "Le patron de CMA CGM n'a pas attendu longtemps pour faire redescendre la plainte auprès du nouveau chef de son pôle médias, Nicolas de Tavernost. L'ancien président du directoire de M6 l'a lui-même transmise au directeur général de l'information du groupe, Jean-Philippe Baille, et au directeur général de BFM Business, Arnaud de Courcelles".
Arnaud de Courcelles, lui, dit tout ignorer de la conversation téléphonique entre les deux milliardaires et assure que la suppression du contenu Instagram relève d'une décision éditoriale. "Ce choix est lié, selon lui, au fait que l'enquête ne fonctionnait finalement pas dans ce format", rapporte le média spécialisé. Contacté par "La lettre", le groupe CMA CGM n'a pas souhaité faire de commentaire. Il dément cependant toute intervention éditoriale de Rodolphe Saadé. De son côté, LVMH dément également toute demande d'intervention.
Ces révélations ont suscité la consternation des Sociétés des journalistes des rédactions de BFM Business, BFMTV, RMC et "La Tribune". Dans un communiqué commun, publié ce lundi 27 janvier 2025, elles "expriment leur vif désaccord après la décision de la direction de CMA Media de supprimer une vidéo Instagram concernant les difficultés rencontrées par Tiffany, maison du groupe LVMH", déplorent-elles. "Cette vidéo, relatant une enquête de deux journalistes de BFM Business, qui faisait alors 100.000 vues, et la story attenante, ont été supprimées à la demande de la direction, dans la foulée d'appels de LVMH, et sans en informer ni les journalistes concernés, ni la rédaction de BFM Business. L'article du site internet n'a en revanche pas été touché", précisent les SDJ. Selon "La lettre", la direction aurait fait en sorte de réduire sa visibilité en le retirant de la page d'accueil.
"Cet interventionnisme n'est pas tolérable et contraire aux principes fondamentaux d'un journalisme indépendant", s'émeuvent les SDJ. "Après déjà d'autres alertes, ces derniers mois, les SDJ de BFM Business, BFMTV, RMC et 'La Tribune' resteront particulièrement vigilantes à l'avenir sur les interventions de leur actionnaire, CMA CGM, dans le contenu éditorial. La signature d'une charte ambitieuse pour BFMTV, BFM Business et RMC, rappelant l'indépendance des rédactions du groupe vis-à-vis de tous les pouvoirs semble plus que jamais nécessaire".
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Depuis le passage du groupe RMC BFM sous pavillon Saadé, de nombreux journalistes de BFMTV ont dénoncé auprès de "Médiapart" l'intervention de proches de Rodolphe Saadé dans les choix éditoriaux. En interne, plusieurs membres de la rédaction affirmaient que "la séparation entre fonctions éditoriales et commerciales ne semble plus être respectée", visant notamment des ingérences perçues comme invasives de la part de Nicolas de Tavernost.
L'un des exemples cités porte sur une enquête sur Rachida Dati diffusée dans la case "Ligne rouge", et dont l'ex-patron de M6 aurait tenté de freiner la diffusion. "Je ne m’en suis absolument pas mêlé (...) BFM est une antenne totalement libre", s'était défendu le dirigeant. "Je discute avec Nicolas de Tavernost des changements que j’opère, et nous bâtissons la ligne éditoriale avec Jean-Philippe Baille. Le reste n’est que fantasme pur", avait balayé Fabien Namias, directeur général de BFMTV, quelques jours plus tard dans "Le Monde".
En 2024, Rodolphe Saadé a été également accusé d'intervenir sur les lignes éditoriales de "La Provence" et "La Tribune", deux des titres de presse dans son escarcelle. Les journalistes du quotidien économique s'étaient notamment mis en grève après la mise à pied le 22 mars du directeur de la rédaction de "La Provence", Aurélien Viers, à la suite d'une Une "jugée déplaisante par Rodolphe Saadé". Le cadre avait finalement été réintégré le 25 mars.