Libres et indépendants. Dans une tribune publiée ce matin sur le site du "Monde", plusieurs dirigeants mondiaux de l'audiovisuel public, dont Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, récemment renouvelée à son poste, ont rappelé les valeurs défendues par leurs chaînes et alertent de l'amalgame fait par les réseaux sociaux et principalement Facebook entre les médias publics et les médias d'Etat. Ont ainsi signé cette tribune : Delphine Ernotte (France Télévisions), David Anderson (ABC), Thomas Bellut (ZDF), Tony Hall (BBC), Jim Mather (RNZ), Hanna Stjarne (SVT), Yang Sung-Dong (KBS) et Catherine Tait (CBC/Radio-Canada).
Ces patrons de médias ont décidé d'écrire ce texte à la suite de l'annonce faite par Facebook, le 4 juin dernier, de marquer les contenus provenant de médias de groupes audiovisuels publics. Selon les dirigeants, cette décision "s'inscrit dans le cadre du débat actuel croissant sur la distinction entre les médias d'Etat et médias publics", "devenu d'une grande importance pour les citoyens des pays démocratiques partout dans le monde". S'ils confirment que "les médias d'Etat" et "les médias publics" sont bel et bien tous deux "créés" et "financés" par un gouvernement, ils précisent que ces médias "ont des fonctions complètement différentes".
Ainsi, les huit signataires rappellent que "les médias d'Etat ont pour mission d'appuyer les intérêts du gouvernement", "d'assurer que l'information présentée au public est conforme à la version des événements privilégiées par le pouvoir" : "Ces médias sont un moyen pour les Etats de contrer les critiques et d'éclipser d'un sujet les problèmes, les dissidents et les sources d'embarras". En revanche, "les médias publics ont été créés pour répondre aux besoins des citoyens" et "incarnent tous un ensemble de valeurs fondamentales comme l'indépendance, la défense de l'intérêt public, l'impartialité, l'universalité des services, la diversité, l'exactitude et la rigueur journalistiques", précisent Delphine Ernotte et ses confrères.
"De manière plus fondamentale, les médias publics ont la responsabilité de soutenir la démocratie en informant les citoyens et en exigeant des gouvernements de rendre des comptes", poursuivent-ils. Et d'ajouter : "Pour qu'un gouvernement appuie et protège le mandat d'une organisation qui a, entre autres, le rôle de surveiller publiquement ses activités, cela nécessite du courage et un engagement envers le bien public. Or, c'est ce dont les gouvernements de pays démocratiques font preuve depuis près d'un siècle, bien souvent avec un large soutien parlementaire". Par ailleurs, les patrons de médias relatent comment les auditeurs et les téléspectateurs "se sont tournés en nombre record vers les médias publics" au début de la crise sanitaire "pour obtenir de l'information exacte et fiable".
Pour ces dirigeants, il est encore plus important de défendre les valeurs des médias publics alors que dans certains pays, "une tendance inquiétante se profile". Ils citent ainsi la censure à la radio publique polonaise d'une chanson critiquant le parti au pouvoir, les menaces du gouvernement slovène après des reportages critiquant la gestion de la crise sanitaire et la suspension d'une émission populaire à Hong Kong après des plaintes des forces de l'ordre. "En fragilisant ainsi une institution démocratique essentielle, on affaiblit la démocratie elle-même dans ces pays", commentent-ils.
"Il est primordial que les décideurs et la classe politique soutiennent et défendent l'indépendance des médias publics et du journalisme en général. C'est d'autant plus vrai dans un contexte où les journalistes sont de plus en plus l'objet de menaces et d'attaques partout dans le monde", écrivent les huit dirigeants étrangers de médias publics. Et de conclure : "Des médias publics en bonne santé constituent une force pour les démocraties du monde. L'heure est venue de faire preuve de courage et de leadership".