Cette fois-ci, Delphine Ernotte n'y aura pas échappé. La motion de défiance à l'encontre de la présidente de France Télévisions a été adoptée ce soir à une très large majorité par les rédactions du groupe audiovisuel public. A la question "Faites-vous confiance à Delphine Ernotte-Cunci pour préserver la qualité et les moyens de l'information de France Télévisions", 83,77% des votants ont voté "non", tandis que le "oui" a représenté 8,95% des voix et que 7,28% des votants ne se sont pas prononcés. 879 inscrits étaient invités à se prononcer pour un groupe de près de 9.800 salariés au total. La participation s'est établie à 69,1%, soit près de 607 votants. Bien qu'attendu, le vote de cette motion de défiance est indéniablement un coup dur pour la présidente de France Télé, déjà affaiblie par plusieurs semaines de polémique.
La genèse de la crise remonte à mi-novembre lorsque Yannick Letranchant, directeur de l'information de France Télévisions, a présenté ses pistes d'économies pour son service. Privé en septembre de 50 millions d'euros de crédits pour son budget 2018, France Télévisions a décidé de mettre à contribution tous les départements, y compris celui de l'info, l'une des priorités proclamées de Delphine Ernotte depuis le début de son mandat.
Parmi les pistes évoquées par Yannick Letranchant ce jour-là devant les journalistes, le projet de diffuser les "jeudis de l'information" uniquement en première partie de soirée, ce qui réduirait le temps d'antenne de "Envoyé spécial" et "Complément d'enquête". Une mesure accompagnée de plusieurs suppressions de postes au sein des rédactions de ces magazines, comme au sein de celles des JT. L'idée de toucher à ces deux marques historiques de France 2 a immédiatement mis le feu aux poudres. Dès le 23 novembre, la rédaction de France 2 réunie en Assemblée générale a évoqué pour la première fois la possible mise au vote d'une motion de défiance contre Delphine Ernotte.
Relayée sur les réseaux sociaux et dans la presse, la grogne des journalistes de France 2 a poussé la direction de France Télévisions à revoir sa copie au fil des jours. Le 28 novembre, Delphine Ernotte a finalement décidé de réduire de manière conséquente le nombre de suppressions de postes à la direction de l'information. Alors que le chiffre de 66 équivalents temps plein (ETP) avait été avancé, le service de Yannick Letranchant devra finalement se séparer de 30 ETP sur les près de 1.340 qu'il compte actuellement. Les magazines d'info du jeudi perdront pour leur part 3 ETP, alors que le chiffre de 10 avait été évoqué auparavant. Alors qu'elle voyait dans ce geste de relative mansuétude un moyen d'apaiser ses troupes, Delphine Ernotte en a été pour ses frais. Réunis de nouveau en AG le jour de la publication des derniers arbitrages, les journalistes ont ainsi acté pour de bon la mise au vote d'une motion de défiance contre leur présidente, finalement adoptée ce soir. Une longue lettre de Delphine Ernotte envoyée hier à ses troupes de ne sera pas parvenue à inverser la tendance.
Si la votation d'aujourd'hui n'oblige en rien Delphine Ernotte à quitter son poste, elle acte cependant un désaveu de ses journalistes qui couvait depuis plusieurs mois. En mai 2016, la présidente de France Télévisions avait ainsi déjà été visée, tout comme Michel Field, par une motion de défiance portée par les mêmes rédactions de France Télévisions. A l'époque vent debout contre leur directeur de l'information, ces dernières avaient finalement annulé la votation après l'annonce de la démission de celui-ci.
Dommageable dans l'absolu, l'adoption de la motion de défiance d'aujourd'hui l'est d'autant plus dans le contexte actuel. Alors qu'Emmanuel Macron a récemment prédit avec fracas un véritable big bang de l'audiovisuel public, Delphine Ernotte abordera ce chantier explosif en interne en mauvaise posture. Prise entre le marteau et l'enclume, la présidente de France Télé semble condamnée à endurer, en attendant mieux.