La réponse de l'actionnariat à la colère des journalistes de Libération ne se sera pas fait attendre. Samedi, les journalistes de la rédaction du quotidien de gauche ont fustigé le projet de leurs actionnaires de faire de Libération "un réseau social, créateur de contenus monétisables sur une large palette de supports multimédias (print, vidéo, tv, digital, forums, évènements, radio, etc.)". Dans un texte mis en ligne vendredi sur le site du quotidien, les actionnaires avaient ainsi expliqué que ce projet pourrait fournir "de très forts relais de croissance" alors même que Libération rencontre actuellement de sérieuses difficultés financières.
Mais les journalistes de la rédaction ne l'entendent visiblement pas de cette oreille. Ces derniers, en grève jeudi dernier, ont ainsi utilisé la propre Une du quotidien pour exprimer leur profond rejet du projet des actionnaires. "Nous sommes un journal, pas un restaurant, pas un réseau social, pas un espace culturel, pas un plateau télé, pas un bar, pas un incubateur de start-up" peut-on ainsi lire en Une de l'édition de samedi.
Dans un éditorial, les salariés ont expliqué que "le projet des actionnaires (...) a provoqué la stupéfaction puis la colère de l'équipe, tant il est éloigné de (leur) métier et de (leurs) valeurs". Selon eux, "il n'offre aucune perspective d'avenir sérieuse au journal". Et les salariés de conclure : "S'il était appliqué, Libération se verrait ramené à une simple marque. Les semaines qui viennent s'annoncent difficiles, mais nous restons unis et déterminés". Un nouveau préavis de grève a été déposé pour lundi.
Des initiatives que n'a visiblement pas goûtées Bruno Ledoux, l'un des principaux actionnaires de Libération dont il possède 26% du capital, à parité avec Édouard de Rothschild. Dans un email envoyé aux autres actionnaires et révélé par BFM Business, il a ainsi expliqué avoir voulu, avec cette annonce de vendredi, "rendre ringards tous ces esprits étriqués et tirer un coup d'avance, un coup cash, où tout est dit, y compris le projet sur l'immeuble". "Je pense qu'il faut prendre (...) à témoin tous les Français, qui raquent pour ces mecs, pour que tout le monde comprenne bien l'enjeu qui se joue actuellement... D'un coté, la faillite, de l'autre coté, une autre vision.....", a également écrit Bruno Ledoux dans ce mail adressé aussi à Nicolas Demorand, le président du directoire du journal.
Contacté par BFM Business, l'homme d'affaires a assumé ses propos. "Un modèle qui repose uniquement sur le papier est en effet ringard et condamné. Pour être sauvé, Libération doit impérativement adopter une vision moderne et trouver d'autres ressources. Je trouve aussi ringarde l'attitude des salariés, qui attaquent les actionnaires dans le journal, et refusent de se réformer, sans avoir voulu écouter notre projet" a-t-il expliqué.
Interrogé le même jour par l'AFP, Bruno Ledoux s'est fait encore plus menaçant. "Si les salariés refusent (le projet des actionnaires, ndlr), Libération n'a pas d'avenir. L'enjeu, c'est la mort" a t-il averti. "Il fallait faire un peu violence car à Libération, tout est toujours conflictuel" a-t-il également commenté. Et l'homme d'affaires de conclure : "Le cap est fixé, maintenant il faut l'expliquer. Chacun assumera ses responsabilités".