Rarement le petit monde des médias aura subi autant de secousses. L'arrivée de Patrick Drahi dans les télécoms et la presse, l'offensive de Vincent Bolloré sur Canal+, l'interminable grève à Radio France ou encore la nomination de Delphine Enotte à la tête de France Télévisions ont été les feuilletons passionnants et ininterrompus de la saison 2014-2015. Quels sont celles et ceux qui ont marqué l'année des médias ?
Insaisissable Patrick Drahi. Depuis son raid sur l'opérateur SFR, l'homme d'affaires franco-israélien n'a accordé aucune interview et ne rencontre jamais les médias. Il s'y intéresse pourtant de très près, à en croire le groupe qu'il est en train de créer, Altice Médias, qui réunit désormais "L'Express", "Libération", et bientôt les chaînes et radios du groupe NextRadioTV (BFMTV, RMC...). Un petit empire médiatique censé valoriser son offre d'accès internet à haut débit. C'est le pari de Patrick Drahi : faire gonfler le revenu moyen mensuel par abonné avec une offre riche de contenus premium. Comme le prestigieux championnat anglais de foot, la Premier League, dont les droit ont été achetés au nez et à la barbe de Canal+. Patrick Drahi est un boulimique et même si sa dette explose, ses proches le jurent, il n'est pas tout à fait rassasié.
Il était en embuscade depuis plusieurs mois. En décapitant Canal+ de ses princpaux dirigeants et talents, Vincent Bolloré comptait faire table rase du passé et réinventer cette chaîne souvent décriée. Il a vite été confronté à un principe de réalité, une entreprise de médias ne se gère pas comme n'importe quelle industrie. Les journalistes sont une matière première inflammable et jouer avec leur indépencance reste explosif. Six mois après sa prise de pouvoir, tous les voyants sont au rouge : les audiences du clair s'effondrent, le retour des "Guignols" est raté, le recrutement de nouveaux abonnés est en panne, et Canal+ a perdu les droits de la très prestigieuse Premier League. Seuls les programmes auxquels il n'a pas touché comme "Le Petit Journal" et "Salut les terriens" résistent. La stratégie de Vincent Bolloré face aux nouveaux acteurs comme Netflix, Amazon et Apple inquiète et nul ne sait ce qu'il a dans la tête pour se relancer en 2016.
Une saison et demi aura suffi à Léa Salamé pour imposer son ton dans "On n'est pas couché" et à 7h50 sur France Inter. L'ex-journaliste d'iTELE anime la deuxième interview la plus écoutée chaque matin, derrière Patrick Cohen. Beaucoup lui prédisent un grand avenir sur le service public si elle abandonne son fauteuil de polémiste chaque samedi dans "On n'est pas couché" de Laurent Ruquier. Héritera-t-elle d'une émissions de débats et/ou de politique la saison de la présidentielle ? La nouvelle réorganisation au sein de l'information de France Télévisions devrait offrir de belles opportunités à celle qui a été sacrée meilleure intervieweuse de l'année. De nombreuses sociétés se battent pour la produire en 2016.
Choisie par le CSA en mai dernier pour succèder à Rémy Pflimlin, Delphine Ernotte n'a pu prendre ses fonctions à la tête de France Télévisions qu'en août dernier. Elle a déjà démontré quel serait le ton de sa présidence : offensif ! Sur le financement du service public, Delphine Ernotte a tenu tête à sa ministre de tuelle, Fleur Pellerin. Dans le dossier Newen/TF1, elle n'a pas hésité à mettre un terme aux développements avec l'un des plus gros fournisseurs de programmes de France Télévisions. Enfin, envers et contre tous, elle a annoncé le lancement d'une chaîne d'informations de service public en septembre prochain. Un projet délicat alors qu'elle vient de changer tout l'état-major de la direction de l'information de son groupe. Sur ces sujets hautement sensibles, ça passera ou ça cassera en 2016.
Les attentats du 7 janvier, le crash de l'avion de la Germanwings et les attentats du 13 novembre 2015 : les chaînes d'informations de la TNT, BFMTV et iTELE, n'ont jamais été autant suivies qu'en 2015. Ces breaking news qui ont duré parfois plusieurs jours ont rythmé une année riche en actualités dramatiques. A chaque fois, le réflexe des Français pour se brancher sur les canaux 15 et 16 de la TNT a été plus fort. Les quelques ratés, comme lors de la prise d'otages à l'Hyper Cacher ou l'assaut à Dammartin-en-Goële ont une nouvelle fois terni leur réputation. Reconnaissons-leur une utilisé publique, celle de tenir les Français informés en temps réel de tous les événements aux quatre coins du monde. Avec parfois plus de vingt heures de direct par jour, le modèle peut s'enrayer mais toutes semblent avoir tiré les leçons des erreurs passées. Leur pouvoir, déjà immense, se décuplera pendant la prochaine présidentielle. En 2016, deux nouvelles chaînes, LCI et celle de France Télévisions, viendront chahuter ce marché très prisé de l'information en continu.
C'est un homme de l'ombre qui a pris la lumière en 2015. Tous les journalistes connaissent Gaspard Gantzer mais la plupart des Français ignoraient jusqu'à juin dernier son existence. Un documentaire d'Yves Jeuland diffusé sur France 3 a jeté une lumière crue sur le conseiller spécial en communication du président. Il le suit partout, dans les moments heureux comme les plus dramatiques pour mettre en musique sa communication. Rien ne se fait sans son accord. A François Hollande le choix des mots, à Gaspard Gantzer celui du cadre, de la lumière, du moment, des journalistes ou des médias auxquels il doit s'adresser. Cette année, le chef de l'Etat a parlé au "Supplément" sur Canal+, au "Chasseur Français", ou au nouveau bi-mensuel "Society". Des choix parfois critiqués qui sont ceux de Gaspard Gantzer, professionnel de l'image élyséenne. Avec la présidentielle de 2017, le rôle de celui qui parle toujours en off aux journalistes sera plus délicat, il devra démêler la communication du président de celle du probable candidat.
Incontournable Cyril Hanouna... L'audience de "Touche pas à mon poste" n'a cessé de progresser cette saison sur D8, atteignant des sommets, avec plus de 1,8 million de téléspectateurs. Des scores qui rappellent les belles années du "Grand Journal" sur Canal+ quand Michel Denisot l'incarnait. Désormais star du groupe, Cyril Hanouna a négocié un contrat en or avec Vincent Bolloré : 250 millions d'euros sur 5 ans pour arroser les antennes du groupe Canal de ses programmes, avec sa société de production H2O, devenue la première à fournir des émissions de flux au PAF français. Sa popularité sur les réseaux sociaux est phénoménale, avec près de 3 millions de followers. Seul caillou dans sa chaussure, sa quotidienne sur Europe 1. Après presque deux saisons, "Les pieds dans le plat" peine à s'imposer dans une case où son jeune public ne se branche pas sur la radio. En septembre 2016, stop ou encore ?
Personne n'attendait si vite Anne-Claire Coudray aux commandes du 20 Heures de TF1. Mais à la faveur d'une mise à la retraite forcée de Claire Chazal, elle est devenue titulaire des journaux le week-end. Après de petits errements lors de ses premiers JT, Anne-Claire Coudray a déjà imposé son ton et son visage. Ex-reporter comme Gilles Bouleau, elle incarnera l'information et la politique lors de la prochaine présidentielle. Ce duo a déjà permis à TF1 de reprendre la main lors des soirées des élections régionales en décembre dernier face à France 2. Dernier pari de Nonce Paolini avant son départ de TF1, Anne-Claire Coudray sera l'une des pièces maîtresses du renouveau attendu à l'info de la Une en 2016.
La saison aura été tourmentée pour Radio France, avec l'une des grèves les plus longues de son histoire. Chahuté par les salariés et la presse, Mathieu Gallet, son jeune président, a tenu bon. Après les fortes secousses du printemps, les eaux sont devenues à nouveau plus calmes grâce aux bonnes performances des antennes du groupe public. La plupart des stations ont vu leurs audiences fortement progresser en 2015, à l'image de France Inter qui propose désormais la première matinale de France, devant RTL. De nombreux paris et changements radicaux dans les grilles ont payé. Derrière cette nouvelle stratégie, un homme, Frédéric Schlesinger, directeur des programmes du groupe. Seule ombre au tableau, la chute de France Info malgré une belle relance saluée par les observateurs. Son défi en 2015 sera d'additionner ses forces à celles de France Télévisions pour créer une chaîne d'informations en continu souhaitée par Delphine Ernotte.
C'est l'autre gagnante des talks d'actualité. Elisabeth Quin, chaque soir sur Arte, offre avec "28 minutes" une émission d'accueil intelligente, raffinée, et accessible au grand public. Dans ce "C dans l'air" intello, aucun sujet n'est choisi pour faire de l'audience mais celle-ci ne cesse de progresser, atteignant près de 800.000 téléspectateurs un soir de décembre ! Un exploit à l'heure des JT sur les grandes chaînes, de TPMP sur D8 et du "Petit Journal" sur Canal+. Soulignons aussi l'importante place accordée aux femmes, autour de la table et dans les sujets. Le million en 2016 pour "28 minutes" ?