C'est une Une qui ne laisse pas indifférent. Dimanche soir, sur les réseaux sociaux, "Libération" a publié en avant-première la première page de son journal de ce lundi. Sur celle-ci, on y voit sur la partie gauche un dessin d'un homme immobilisant une femme sur un mur, avec en légende "'Je t'ai violée, Alma', la lettre d'un agresseur à sa victime". Sur Twitter, la Une a fait un tollé et de nombreux internautes ont pointé du doigt l'étrange choix de "Libération" en cette journée internationale des droits des femmes.
Cet article s'étale sur trois pages en pages intérieures et est accompagné d'une section making of pour justifier le choix de la rédaction. "Dans un texte envoyé à la rédaction, Samuel reconnaît avoir violé son ex-copine. Avec l'accord d'Alma, la victime, et de son agresseur, 'Libération' rend public ce courrier", peut-on lire en accroche. Le quotidien de gauche qualifie le texte de "fort et dérangeant" : "Dès les premières lignes, son auteur, dont nous ne donnerons ici que le prénom, Samuel, un étudiant de 20 ans, reconnaît avoir violé son ex-copine, elle-même à l'origine d'une vague de libération de la parole à Sciences-Po Bordeaux".
"Libération" explique à ses lecteurs les nombreuses précautions prises avant publication : "Il ne faut pas que la parole de l'agresseur invisibilise celle de sa victime. Le fait qu'il reconnaisse le viol l'a soulagée, apaisée, lui a permis de mettre des mots sur son mal-être. Elle donne son consentement pour que le texte de son agresseur soit publié. Nous lui demandons de bien prendre le temps de réfléchir".
Le journal a agi de même en direction de l'auteur de cette longue lettre en expliquant que si la rédaction a fait le choix de retirer son nom de famille, elle n'opposera pas le secret des sources aux autorités judiciaires si elles venaient à se saisir du dossier. "De son côté, Alma, avec qui nous sommes en lien permanent, nous informe que lorsqu'elle sera prête, elle portera plainte", peut-on lire sous la plume de Matthieu Ecoiffier.
Concernant le fond de la lettre : "Dire qu'il donne le point de vue du violeur n'est que partiellement vrai. Sa réflexion vise à nous interpeller, à nous sortir de la zone de confort consistant à considérer que le violeur, le monstre, c'est l'autre. (...) La force intellectuelle, la fougue de ce texte peuvent aussi susciter le rejet et jouer en sa défaveur. Mais c'est un fait : il apporte du matériau humain à une question douloureuse, complexe et taboue", se justifie encore "Libération".
Le fameux texte de Samuel, intitulé "J'ai violé, vous violez, nous violons", s'étend sur une page et demi. L'étudiant revient sur sa relation avec Alma ; une relation décrite comme complexe et passionnée. Il confie avoir lui-même été "abusé par un pédocriminel pendant deux années de (son) collège". "Libérer l'écoute est aussi important que libérer la parole. Il est primordial de créer des espaces dans lesquels les partages et les discussions sont encouragés, tant pour les victimes que pour les agresseurs", note l'auteur à l'issue de sa longue réflexion.