Fallait-il publier les enregistrements des conversations d'Alexandre Benalla, ex-collaborateur du président de la République avec Vincent Crase, ex-responsable de la sécurité de La République en marche ? Pour l'équipe de "Mediapart", qui a mis en ligne ces documents le 31 janvier dernier, la réponse est clairement oui.
Cette publication a valu au média une tentative de perquisition de ses locaux deux jours plus tard. Alerté par Matignon, le parquet de Paris a en effet décidé d'ouvrir une enquête préliminaire notamment pour "atteinte à la vie privée" alors même que personne n'a porté plainte. Cette perquisition a suscité un certain émoi chez les journalistes, qui estiment qu'il s'agit là d'une atteinte au secret des sources. Une trentaine de sociétés de journalistes ont d'ailleurs affiché leur soutien à "Mediapart" mercredi dans une tribune.
Le soir-même, sur le plateau de "C à vous", Patrick Cohen est allé à contre-courant de cette vague de soutiens en tentant de mettre Edwy Plenel, invité de l'émission, face à ses contradictions. Le journaliste d'Europe 1 a ainsi fait le parallèle entre les écoutes téléphoniques illégales dont le fondateur de "Mediapart" a été victime de la part de l'Elysée dans les années 1980, et ces enregistrements clandestins mis en boîte lors d'une rencontre entre Alexandre Benalla et Vincent Crase le 26 juillet 2018, dans un contexte obscur.
Patrick Cohen a renforcé son argumentaire d'un extrait d'un ancien livre d'Edwy Plenel, "Les mots volés", relatif aux écoutes de l'Elysée, dans lequel le journaliste estimait que : "un dialogue au téléphone, c'est comme une conversation avec soi-même. Si l'interlocuteur est un intime, on s'y livre, on s'y met à nu, on y pense tout haut, on parle trop vite, on exprime ce qu'on ne pense pas vraiment, on ment, on profère des bêtises, on dit n'importe quoi".
"Est-ce-qu'il n'y a pas là un des plus beaux plaidoyers contre la publication d'écoutes privées ?, s'est interrogé Patrick Cohen. En d'autres termes, quel crédit accorder à la véracité de ce que disent Benalla et Crase dans une écoute privée ?". Edwy Plenel a estimé que son cas de figure et celui des anciens collaborateurs d'Emmanuel Macron n'était pas comparable. "Nous révélons des délits et la révélation de délits est d'intérêt public et elle passe au-dessus de l'origine", a rétorqué le patron de "Mediapart".
Pour Patrick Cohen, "la justice le dira, s'il y a délit". "La justice n'en est pas saisie !", a souligné son interlocuteur. Et devant l'insistance du journaliste de "C à vous", Edwy Plenel a affiché son étonnement : "Vous êtes procureur ? Vous allez poursuivre 'Mediapart' ? Comme journaliste, je vous trouve bien léger par rapport au rôle fondamental de la presse dans notre démocratie (...) Heureusement que 'Mediapart' est là pour chercher les vérités que cache l'Elysée et que peut-être ne cherchent pas un certain journalisme de gouvernement et de complaisance".
"Dont je ne suis pas. Je cherche juste à comprendre où est la limite dans la diffusion de conversations privées", a aussitôt répondu Patrick Cohen, tout en rappelant qu'on ne connaissait ni la source, ni les circonstances dans lesquelles ces enregistrements ont eu lieu. Pour l'inflexible Edwy Plenel, "la source, c'est le secret des sources ; le contenu est le seul intérêt et le contenu, d'intérêt public, ne concerne ni la vie privée de M. Crase, ni la vie privée de M. Benalla".
"Les journalistes de gouvernement, c'est un procès que vous nous faites...", n'a pas manqué de relever Anne-Elisabeth Lemoine, jusque-là silencieuse. "C'est une formule. Je répondais à Patrick Cohen, pas à vous en général", a plaidé Edwy Plenel. "L'esprit critique, c'est une vertu aussi, Edwy Plenel", a glissé Patrick Cohen à son confrère, un sourire en coin, à la toute fin de l'échange. puremedias.com vous propose de revoir une partie de cette séquence.