Tous les journalistes qui l'ont reçue vous le diront, Marine Le Pen est hors antenne "très sympa". Drôle, blagueuse. Vendredi, elle était sur Canal + pendant près de deux heures. Face à Michel Denisot et son équipe dans "Le Grand Journal " puis pour la première fois face à Yann Barthès dans "Le Petit Journal". La présidente du FN dans une émission où on se marre habituellement, un divertissement, beaucoup ont dit non avant lui : Michel Drucker, Laurent Ruquier. Mais c'était le deal hier soir : du sérieux et du léger. Peut-on rire de et avec la présidente du Front National pendant 20 minutes ? Un exercice en direct à hauts risques. La moue peu rieuse de Yann Barthès en disait long sur son plaisir à la recevoir sur son plateau. Il prévient le téléspectateur : "On va décrypter votre communication, des choses marrantes, ce qui n'est pas toujours évident au Front National et puis des choses peu moins marrantes".
On se détend d'abord, grâce aux ressorts habituels de l'émission : Jean-Marie Le Pen s'endort aux meetings de sa fille, sa garde rapprochée refuse de se faire filmer, le gimmick de ses sourires forcés ou ses blagues récurrentes devenues armes de comm'. Marine Le Pen rigole ostensiblement, jusqu'aux larmes ! Les séquences sont drôles, le téléspectateur (moi et sûrement bien d'autres) se surprend à sourire devant son écran. Pas une miette d'agressivité, Marine Le Pen est inhabituellement détendue, comme si elle s'était mise en mode infotainment face à Barthès. Elle montre une facette de sa personnalité peu vue ces dernières semaines sur les plateaux de télévision, la bonne copine, la Marine Le Pen hors antenne. Un nouvel acte de la dédiabolisation de son parti.
Yann Barthès confronte la présidente de Marine Le Pen à l'outrance de ses idées avec un nouvel épisode de "L'élection du CE" où Maryse Le Pain "veut chasser les gens qui ne sont pas du bureau", mettre un terme à "la viande à l'ail". Drôle, toujours. "Je ne suis pas d'extrême droite, lâche la vraie Marine Le Pen, mais défenseur de la nation française". Premier scoop. Puis fini de rire, avec ces militants filmés à l'issue d'une manifestation. "Y'a trop d'immigrés, ils ne servent à rien, on n'en n'a pas besoin" dit l'un, "Sarkozy et Hollande, à mettre dans le même sac et à foutre au milieu de la Seine" dit l'autre. Une conseillère FN de la région PACA se moque des origines de Nicolas Sarkozy .
Retour plateau, Marine Le Pen a rangé son sourire de circonstance et semble consternée. Par ses militants et la conseillère de son parti ou la démonstration faite par l'équipe du Petit Journal ? "Je trouve ça nul. Quant aux militants, on dirait ceux de l'UMP à la sortie du débat sur l'identité nationale" répond-elle. "Ce sont les vôtres" précise Barthès. "Ils disent parfois ce qu'ils ont sur le coeur, parfois c'est un peu cash mais ce n'est pas pour ça qu'on peut les traiter de racistes comme on le fait régulièrement. Quant à la cadre du FN, je ne sais pas si ça la fait rire mais moi non" répond Marine Le Pen qui marque un point et ne tombe pas dans le piège tendu. Les vingt minutes sont écoulées, Yann Barthès rend l'antenne à Michel Denisot.
Marine Le Pen a parfaitement réussi à se fondre dans le moule de l'émission qui la recevait. Aucune arrogance, des rires à outrance et un peu de consternation pour finir. Quant à Yann Barthès, il est parvenu à montrer qu'on pouvait rire de tout, même de Marine Le Pen. Car la rendre sympathique n'altère pas la violence de ses idées. La présidente du FN a une nouvelle fois agi comme un booster, "Le petit journal" a réalisé son record historique avec 8,7% de part d'audience vendredi soir.