Des discussions qui en disent long. Dans une enquête publiée hier soir, "Mediapart" révèle des retranscriptions d'échanges privés entre Vincent Bolloré et le communicant de Lagardère, Ramzi Khiroun. Des propos interceptés par la Justice dans le cadre de l'enquête sur l'affaire dite des ports africains visant Vincent Bolloré, et pour laquelle le milliardaire breton a été placé sur écoute entre mars et juillet 2016. Ces interceptions dévoilent ainsi que le patron de Vivendi était au courant à l'avance du contenu du portrait, réalisé par Tristan Waleckx et Matthieu Rénier, pour "Complément d'enquête" diffusé en avril 2016 sur France 2.
Selon "Mediapart", Ramzi Khiroun, alors cadre de Lagardère, a proposé le 17 mars 2016 par téléphone à Vincent Bolloré de s'entretenir avec Stéphane Sitbon, alors directeur de cabinet de Delphine Ernotte, pour tenter de connaître le contenu du numéro de "Complément d'enquête" qui lui serait consacré. S'en serait suivi un échange surprenant entre Vincent Bolloré et le communicant.
"Qu'est-ce qui pourrait te gêner alors ?", demande ainsi Ramzi Khiroun à Vincent Bolloré. "Ben, j'en sais rien ! (...) D'abord, je ne sais pas ce qui me gêne. Moi, j'en sais rien, tu vois. Ils vont répéter indéfiniment les mêmes trucs, l'Afrique, machin, des Greenpeace", répond Vincent Bolloré dans l'échange intercepté. "Y'a rien de faux dans tout ça ?", interroge ensuite le communicant. Ce à quoi l'homme d'affaires réplique : "Ah mais tout ça est complètement vrai !". Et d'ajouter : "Attends, c'est même au-dessous de la réalité".
D'après les informations de "Mediapart", le communicant du groupe Lagardère est parvenu, grâce à une source au sein de France Télévisions, à avoir accès à un compte-rendu du contenu de l'enquête de "Complément d'enquête", deux jours avant sa diffusion. "Rien de tendu dans le Bolloré", écrit ainsi Ramzi Khiroun dans un SMS à Vincent Bolloré, listant ensuite avec précision les différentes séquences du doc.
Interrogé par le site d'investigation, Stéphane Sitbon a confirmé "connaître Ramzi Khiroun depuis plusieurs années" et avoir "eu des relations professionnelles régulières avec lui". "En revanche, je n'ai jamais rencontré, ni parlé avec M. Vincent Bolloré. Je n'ai aucun souvenir d'avoir échangé avec Ramzi Khiroun au sujet du documentaire de 'Complément d'enquête' ou sur Vincent Bolloré, ni à l'époque, ni après", a-t-il assuré.
Et d'indiquer : "L'information selon laquelle je suis intervenu auprès de France Télévisions en 2016 au sujet du portrait de Vincent Bolloré par 'Complément d'enquête' est tout simplement fausse et sans fondement". "Je n'ai pas transmis le contenu du documentaire, que je n'ai d'ailleurs visionné qu'après sa diffusion. (...) Je n'en ai fait le compte-rendu à absolument personne", a également assuré Stéphane Sitbon. "Aucune modification n'a été apportée au reportage", a pour sa part indiqué Tristan Waleckx à "Mediapart", précisant que le reportage est "le résultat d'une enquête journalistique réalisée en toute indépendance, sans aucune intervention extérieure inhabituelle".
Après la diffusion du portrait de Vincent Bolloré sur France 2, le milliardaire a fait savoir son mécontentement en poursuivant en diffamation France Télévisions. Au total, Vincent Bolloré a intenté pas moins de cinq procès au groupe public en France, tous perdus par l'homme d'affaires. Des procédures qui ont néanmoins coûté "plusieurs centaines de milliers d'euros" au groupe de Delphine Ernotte, selon Tristan Waleckx, dans le court documentaire "Le système B", réalisé par Reporter sans frontières et disponible gratuitement sur Youtube.
Sur Twitter, l'actuel présentateur de "Complément d'enquête" sur France 2, a réagi aux révélations de "Mediapart". "Ces conversations secrètes n'ont eu aucune conséquence sur le contenu du 'Complément d'enquête'. En revanche, elles montrent que Vincent Bolloré, qui a attaqué nos infos devant trois juridictions, les jugeait lui-même en privé 'parfaitement vraies' et même 'au-dessous de la réalité'", a-t-il écrit hier soir.