Et de deux ! Une nouvelle fois, M6 est la chaîne préférée des Français, selon les résultats de la grande enquête TV Notes 2012 organisée par puremedias.com, 20 minutes et RTL (345.000 votes). M6 décroche trois autres prix : meilleure série étrangère avec "Desperate Housewives", meilleure télé-réalité avec "Top Chef" et meilleur magazine de société avec "Enquête Exclusive". Nicolas de Tavernost, président du directoire du groupe M6, nous a accordé une longue interview pour commenter ces résultats. Mais aussi pour nous livrer son analyse sur les dossiers brûlants du moment : le retour de la publicité après 20 heures sur le service public, la situation de France 4 ou encore le rachat par Canal+ des chaînes Direct 8 et Direct Star au groupe Bolloré.
Propos recueillis par Julien Lalande et Julien Bellver
puremedias. com : Pour la deuxième année consécutive, M6 a été sacrée meilleure chaîne historique. Est-ce la récompense du développement de la "feel good TV" ?
Nicolas de Tavernost : C'est surtout la reconnaissance des choix de programmes qui ont été faits et des investissements poursuivis. Vous savez qu'on y va de manière patiente chez M6, notamment depuis trois-quatre ans avec le journal, "Scènes de ménages", l'avant-soirée et un certain nombre de magazines sont vraiment enracinés comme des marques fortes. Pas forcément d'ailleurs les plus grosses audiences dans leurs catégories ! Mais si on prend l'exemple de "Top Chef", on s'aperçoit que c'est un programme qui donne beaucoup de réactif/positif. Les TV Notes sont en accord avec ce qu'on voit depuis quelques années.
Pour garder ce rang, quelles seront les tendances qui vont dominer sur M6 ces prochains mois ?
Ce sont plus des valeurs que des tendances qui vont s'imposer. Dans les valeurs, il y a les valeurs positives, les valeurs de générosité et de solidarité qui correspondent bien aux émissions qu'on met à l'antenne. Et enfin, il y a un peu le miracle de savoir si ça sonne vrai ou pas. Les gens veulent de l'authenticité, se reconnaître dans les programmes. Ce qui n'exclut pas, ici ou là en fonction du support, de faire différemment. Par exemple, les jeunes ne s'ennuient pas devant "Les Ch'tis à Ibiza" ! Ce n'est pas le programme le plus exemplaire en termes d'authenticité et de valeurs mais c'est vu comme l'aboutissement d'un programme distractif. C'est le soap poussé à son extrême ! Mais il n'y a pas de tromperie sur la marchandise, voilà pourquoi ça marche. On va aller encore plus loin sur W9 avec ce type de concept.
La fin de la télé bling-bling, c'est maintenant ?
Je crois qu'il faut toujours être prudent quand on veut synthéthiser. Il est certain que les gens ont besoin de programmes dans lesquels ils retrouvent ce qu'ils ressentent. Quand vous regardez la fiction US qui fonctionne bien, comme "NCIS", ce sont pas vraiment les histoires qui ont de l'importance, mais plutôt la communauté. Il y a un univers dans lequel on retrouve les amis, la famille, les compagnons qu'on avait quittés le vendredi dernier. Cette proximité et cette ambiance collective, c'est une tendance y compris dans les séries.
Vous avez toujours la volonté de réduire la présence des séries américaines en prime ?
On a surtout la volonté de trouver des formats qui puissent avoir plus de succès que certaines séries américaines. Je pense qu'il y aura des courbes qui se croiseront ! Cela s'est croisé en avant-soirée, à 20 heures aussi. On gardera quelques très fortes séries mais leur utilisation sera plus choisie. C'est ce qui passe dans les autres pays européens, en Allemagne notamment. Nous on s'y prépare si bientôt nous n'avons plus que deux soirées.
On parle du retour de "Nouvelle Star", Bibiane Godfroid l'a confirmé à demi-mot. Le succès de "The Voice" a achevé de vous convaincre, ce sera à l'antenne avant la fin de l'année ?
Le retour de "Nouvelle Star", c'est une sérieuse éventualité, la décision n'est pas prise mais nous ne voulons pas abandonner le talent show musical. "The Voice", nous avions une préemption sur le programme et on savait que ce serait un succès. Mais les conditions économiques n'étaient pas réunies pour M6. C'est un peu comme si vous mettiez tous les soirs des matchs de l'Equipe de France. Ca marche mais à la fin de la journée, si vous regardez l'aspect économique, ça vous calme un peu vos ardeurs.
Un format à 7,8 millions de téléspectateurs pendant douze semaines, même avec un coût élevé, ce n'est pas rentable sur M6 ?
Non... C'est un format qui était packagé. Ce soir (vendredi, ndlr), je pense qu'on va faire entre 9 et 10 millions de téléspectateurs avec France/Ukraine (10,5 millions finalement, NDLR) mais je peux vous dire que ce n'est pas rentable, la publicité ne couvre pas le coût du programme. Ce n'est pas de l'image, une chaîne de télévision n'est pas seulement l'addition d'éléments rentables. La télévision, c'est un collectif ! En 2006, quand on a sorti la Coupe du monde, ce n'était pas du tout rentable ! Mais cela a installé M6 dans son statut.
Autre élément de statut, le 19.45 de M6. Vous avez toujours pour objectif de devancer France 2, plus en forme que jamais ces derniers mois ?
Notre objectif est de faire partie des trois grands journaux français. Je rappelle que même si les chaînes d'information en continu sont un succès pour une catégorie de population, leur audience est sans commune mesure avec celles des JT ! Si vous aditionnez l'audience de France 3, TF1, France 2 et M6, vous avez 20 millions de Français qui s'informent entre 19h et 20h30 ! Sur les chaînes d'info, vous devez en avoir 700.000. Donc c'est le cheval et l'alouette. Car souvent j'entends dire que ce sont les chaînes d'info qui sont devenues la référence... Non !
La fin du 20 Heures, vous n'y croyez pas...
Pas du tout, et moins que jamais ! L'information ne s'est jamais aussi bien portée sur les chaînes généralistes. Au global, il y a eu quelques petits changements, certains ont perdu et d'autres ont gagné. Mais globalement, par rapport au 6 Minutes à l'époque, on a récupéré 1,5 million de personnes. Ce million est venu compenser une perte de nos confrères mais au total, la population qui regarde les JT n'a pas diminué. les chaînes historiques sont le premier média d'information des Français ! Le reste, c'est de l'accompagnement.
TF1 a annoncé le successeur de Laurence Ferrari, une anti-star : Gilles Bouleau. Ca fait un peu penser au 19.45 qui avait mis une journaliste peu connue du grand public à l'antenne, Claire Barsacq. C'est un handicap ?
Non, pas du tout. Quand on a la force des grandes chaînes historiques comme TF1, on peut imposer très rapidement un visage qui devient un personnage connu. C'est ce que nous avons fait avec Xavier de Moulins. Quand vous êtes devant 4 millions de Français chaque soir, vous devenez vite un personnage connu. C'est la chaîne qui fait la star et pas la star qui fait la chaîne. Ce qui est important c'est de savoir si on a quelqu'un qui est bien en adéquation avec le journal qu'on souhaite faire. J'espère que Xavier de Moulins gagnera un jour le titre de meilleur présentateur de JT avec les TV Notes, il est dans le bon courant.
Eric Zemmour devrait être évincé de RTL à la rentrée. Sera-t-il maintenu sur M6 et Paris Première la saison prochaine ?
Oui, il sera renouvelé. Zemmour et Naulleau, ce sont des gens d'opinion. C'est leur fonction, ils sont éditorialistes ! Et je trouve qu'il est normal qu'ils expriment leurs opinions. Elles doivent être compatibles avec les lois. Nous, on est très contents de l'émission, on poursuit l'aventure, il n'y a aucun problème. Et nous ne sommes pas ennemis d'un peu de polémique qui peut générer un peu d'attractivité.
Un des grands dossiers sur lesquels vous travaillez, c'est l'entrée de Canal+ sur le marché de la TNT gratuite avec le rachat de Direct 8 et Direct Star. Pourquoi craignez-vous tant cette arrivée ?
Ce n'est pas une crainte. Car en matière de télévision gratuite, Canal+ ce n'est pas la garantie du succès ! i-Télé n'est pas un succès spectaculaire par rapport à BFM... Il ne s'agit pas de s'appeler Canal+ pour que ça marche contrairement à ce qu'on voudrait nous faire croire. Le challenge de la compétition, nous sommes tout à fait prêts à le relever mais nous voulons les mêmes règles. Il y a, d'une part, Canal+ qui a une sorte d'exclusivité payante. Venir sur un marché gratuit, cela nécessite quand même, dès lors que vous avez une exclusivité, que vous ne pouvez pas vous en servir pour aller embêter les concurrents. Un exemple : Canal+ a un régime de TVA spécial, c'est près de 380 millions d'euros d'avantages fiscaux, une grosse niche ! Elle ne peut pas servir pour investir dans des programmes pour embêter les concurrents de la télévision gratuite. D'autre part, nous n'aimons pas beaucoup ce trafic des fréquences, nous pensons que l'Etat et le CSA, qui veut imposer aux nouvelles chaînes (lancées à la fin de l'année sur la TNT gratuite, NDLR) des règles assez strictes pour éviter ce genre de commerce pourrait les appliquer tout de suite dans un cas concret, le rachat de Direct 8 et Direct Star. Pourquoi les imposer aux autres en disant que c'est un problème et ne pas regarder la situation aujourd'hui ?
En clair, vous êtes pour l'interdiction de ce rachat ?
Je pense que le CSA ne peut pas à la fois dire "j'ai un problème pour les reventes de fréquences" et en même temps ne pas pouvoir tenir compte de ce problème alors qu'il en a les moyens juridiques par l'article 42.3 de la loi. D'autant plus que ces chaînes ont été autorisées au vu de l'indépendance des actionnaires qui ont porté les projets à l'époque. Aujourd'hui, je ne suis pas sûr que si Canal+ avait porté ces projets, ils eussent été autorisés. Il y a un marché qui est aujourd'hui équilibré entre la télévision gratuite et payante. Dès lors qu'un acteur a lui seul les mains des deux côtés, ça pose un sujet que les autorités doivent résoudrent.
Donc vous espérez que les conditions imposées cet été par l'Autorité de la concurrence seront extrêmement contraignantes, comme le suggère le CSA ?
J'espère qu'elles seront d'autant plus strictes que l'opération sera interdite ! Si elle ne l'est pas, j'imagine que les autorités de concurrence après l'opération TPS/CanalSat vont regarder les choses attentivement. Nous, nous sommes en vigilance rouge sur cette opération.
Dans le même genre, le CSA vous a refusé le passage de Paris Première en gratuit, c'est une option abandonnée ou vous n'avez pas baissé les bras ?
Pas du tout ! Il eut été compréhensible que le passage de gratuit en payant pose problème pour le public. C'est moins compréhensible pour l'inverse. On nous objecte des conditions juridiques et d'équilibre de marché. Donc on autoriserait Direct8/Direct Star sans conséquence sur le marché mais avec Paris Première, on déstabiliserait le marché ? C'est faire beaucoup d'honneur à cette chaîne ! Nous regardons les possibilités de recours juridique.
Vous pronostiquez la poursuite de la concentration dans ce secteur autour des acteurs historiques ?
Je ne crois pas. Nous avons toujours dit que la qualité de l'offre de programmes n'était pas fonction du nombre de chaînes. Aujourd'hui, mettre 25 chaînes gratuites sur le marché n'est pas synonyme de plus de qualité ! Et ça va poser des tas de sujets. Faute d'avoir voulu choisir, on se retrouve dans une situation compliquée pour le secteur public notamment, avec énormément de chaînes à gérer ! France 4, à quoi ça sert ? Cette chaîne bénéficie d'une mesure incroyable, la diffusion des films en période interdite. Le premier film qu'ils ont diffusé dans ce cadre, c'est un film américain. Donc l'argent public sans publicité à 20 heures, a permis d'acheter un film américain dont la probabilité qu'il eut été diffusé sans prendre l'argent dans la proche des Français est assez forte sur notre antenne. A quoi ça sert ? Il y a des chaînes dont on ne peut pas dire que la spécificité des programmes est étouffante.
Transformer France 4 en chaîne jeunesse, cela vous semble être une bonne option ?
Je ne ferais pas ça si j'étais le service public ! Mais je n'en suis pas responsable, fort heureusement pour moi. Je ferais de France 4 une chaîne sportive. Je pense que le sport a toujours un problème de diffusion à la télévision, de plus en plus les compétitions importantes vont être réservées à la télévision payante. Je profiterais d'avoir acquis beaucoup de droits, des événements qui ne sont pas forcément majeurs pour aller les diffuser sur une antenne de service public. Et je pense que ce sera l'une des spécifités du service public pour le futur, avoir plus de sport que les chaînes privées. C'est un conseil gratuit...
Comment percevez-vous l'arrivée d'un nouvel acteur majeur sur les droits sportifs, Al Jazeera ? De votre point de vue de patron de chaîne, mais aussi en tant que président des Girondins de Bordeaux ?
Cela concerne plus l'univers payant que l'univers gratuit. J'ai entendu dire par le directeur général de Canal+ que cela n'aurait pas de conséquences sur ses abonnements, tant mieux pour lui. C'est un peu neutre pour nous si ce n'est que ça accélère le mouvement du gratuit au payant. Sur l'Euro 2012, grâce à Al Jazeera, le prix par match a baissé, notamment pour nous. Sur les finances d'un club comme Bordeaux, la bataille des droits a permis de maintenir un niveau de recettes qui n'est pas celui de l'Angleterre mais qui est quand même significatif.
W9 semble avoir atteint un palier cette année, les audiences de la chaîne ne progressent plus (3,1% de PDA en janvier-mai 2012 vs 3,2% en 2011), contrairement à NRJ12 ou NT1. Vous faites également ce constat ?
Nous sommes repartis en croissance depuis quelques semaines. Le million est souvent dépassé en soirée, l'audience du matin m'importe peu. C'est l'objectif fixé : avoir une régularité au-dessus du million. Je pense qu'on l'atteindra en deuxième partie de saison.
Le gouvernement réfléchit à la réouverture de la publicité après 20 heures pour remplir les caisses de l'audiovisuel public, on imagine que vous n'allez pas laisser faire...
Ce n'est pas une bonne idée ! Ils devraient mieux lire la loi, qui prévoyait plutôt la suppression de la publicité avant 20 heures. Il y a une logique à ça : on crée beaucoup de chaînes commerciales, qui ne vivent que de la publicité. Elles ont besoin d'un financement dans un marché qui ne grandit pas. Si on veut que l'équilibre soit respecté, il faut trouver de l'argent là où il est ! Il n'y a pas d'élasticité à l'offre, c'est ce qu'on se tue à dire aux autorités de régulation. Plus vous créez de chaînes, plus vous modifiez la répartition de la publicité. Sinon vous créez les conditions d'un désastre !
France Télévisions a besoin d'argent aussi...
Oui, mais c'est la même chose que pour le budget de l'Etat ! A savoir, est-ce qu'elle augmente ses recettes et donc les prélèvements ou est-ce qu'elle fait attention à ses dépenses ? Je l'inciterais à être attentive à ses dépenses ! Il n'y a pas de raisons que nous soyons seuls sous la contrainte d'un marché qui déprime pendant que France Télévisions voit année après année une croissance de ses recettes garantie. Il y a de l'ordre à mettre chez France Télévisions, ce serait un pis-aller de financer les dérives par la publicité.
Avez-vous justement trouvé auprès des nouveaux collaborateurs de François Hollande une oreille plus attentive sur ces dossiers ?
On ne les a pas encore rencontrés. On connaît bien le conseiller aux médias à l'Elysée, David Kessler, qui est quelqu'un de tout à fait responsable et compétent. Il connaît par coeur le secteur, c'est rassurant. Mais nous ne réclamons rien, on demande simplement qu'on ne soit pas pénalisés davantage. Je ne demande par exemple pas de réduction fiscale ou de diminution de mes engagements, seulement que nos contraintes ne soient pas alourdies !
Nicolas Sarkozy était très interventionniste sur les questions audiovisuelles, vous vous attendez à un quinquennat plus serein avec François Hollande ?
Je ne me suis jamais plaint de l'intervention de la puissance publique ! Il y a un problème sur la régulation, sur les règles de fonctionnement. C'est un long combat. mais en termes de contenus éditoriaux, depuis ving-cinq ans nous n'avons eu aucune intervention de caractère politique sur nos contenus. Nous n'appartenons pas à un groupe qui a des liens avec l'Etat et donc nous faisons notre métier, les politiques l'ont bien compris. Nous ne sommes pas là pour poser des problèmes mais on exerce de manière objective notre métier. C'est un non-sujet depuis toujours et j'espère que cela le restera.