Jour J pour BFMTV et Cnews. Ce soir, les deux chaînes d'information co-diffuseront le débat télévisé qu'elles organisent entre les onze candidats à l'élection présidentielle. Une première dans l'histoire de la Ve République, qui survient quelques semaines après la diffusion du "Grand Débat" de TF1, suivi par près de 11 millions de téléspectateurs en audiences quatre écrans. Pour assurer l'arbitrage de ce débat, les deux chaînes info ont renouvelé leur confiance au tandem composé de Ruth Elkrief et Laurence Ferrari, qui s'était illustré lors des débats des primaires. puremedias.com a rencontré les deux journalistes.
Propos recueillis par Pierre Dezeraud.
C'est votre troisième collaboration ensemble. Vous êtes rodées à l'exercice ?
Laurence Ferrari : Oui ! Dès le premier débat, il y a eu une vraie alchimie qui s'est créée entre nous. Là, on est dans la continuité du travail engagé pendant les primaires. Comme nous fonctionnons toutes les deux de la même manière, c'est assez simple.
Ruth Elkrief : On essaie d'être sur le fond, on bosse nos dossiers, on se respecte et on s'écoute. C'est primordial car nous sommes toutes les deux dans le même camp. On a plutôt intérêt à se serrer les coudes dans cet exercice imprévisible.
Laurence Ferrari : Et même historique ! C'est quand la même la première fois dans l'histoire de la Ve République que ça se fera, peut-être la dernière d'ailleurs... C'est une gageure, un vrai défi, journalistique et personnel.
Cela ne vous fait pas peur ?
LF : Non, ça nous ouvre l'appétit ! On a hâte.
RE : On a notre professionnalisme, notre sérieux et notre solidité. On compte sur la responsabilité des candidats. C'est quand même un débat présidentiel, personne n'a intérêt à semer le désordre. Donc tout le monde doit être au niveau, que ce soient nous ou les candidats.
LF : Il faut que ce soit un débat, pas un pugilat démocratique.
Vous avez échangé avec les équipes des candidats ?
RE : Nous, personnellement, non. Ce sont nos équipes et la direction des deux rédactions qui se chargent de cela. Nous, on se préserve. On les salue individuellement lorsqu'ils arrivent sur le plateau et ça s'arrête là.
Vous avez revisionné les débats des primaires ?
LF : Non, on manque de temps pour le faire. On est toutes les deux à l'antenne tous les jours, en direct... Mais on a évidemment regardé le débat à cinq de TF1.
Le travail de préparation de ce débat à onze, il est vraiment différent de celui effectué pour les débats des primaires ?
RE : Non, c'est la même démarche. On pioche dans les programmes les propositions qui nous semblent intéressantes et on essaie de mettre en valeur les candidats.
Est-ce qu'un débat à onze en 3h30 c'est tenable alors que TF1 a eu du mal à conclure le sien, auquel ne participaient pourtant que cinq candidats ?
RE : En même temps, ils avaient dix-sept thèmes ! Nous, on a fait le choix de se concentrer sur trois thématiques. Après, oui, c'est un défi colossal mais on va tout faire pour le tenir. On verra s'il y a des moments qu'on veut privilégier, il est possible que l'on doive renoncer à quelques éléments.
LF : On a resserré le débat sur trois thématiques en se posant la question : "Quelles sont les préoccupations principales des Français ?". En l'occurrence, ce sont l'emploi, la lutte contre l'insécurité et le modèle social.
Et si, par eux-mêmes, les candidats dérivent sur d'autres thèmes, vous les laisserez faire ?
RE : On essaiera de les ramener à nos thèmes. Mais, de toute manière, ils seront contraints par le temps de parole. Cet aiguillage va les contraindre à rester dans les rails.
LF : On ne veut pas avoir un côté maîtresse d'école, ce n'est pas le but de ce débat. En revanche, on sera ferme pour aller au bout des thématiques prévues.
Vous allez vous inspirer de ce qu'ont fait Gilles Bouleau et Anne-Claire Coudray lors du débat à cinq ?
RE : Nous sommes ce que nous sommes. Ruth Elkrief et Laurence Ferrari, deux journalistes venues des chaînes info. On a fait deux débats avant et on a montré toutes les deux qu'on avait notre style. Donc cette question ne se pose pas.
Les affaires avaient été abordées directement au cours de ce débat. Est-ce que vous envisagez d'en parler ou vous laisserez les candidats le faire par eux-mêmes ?
LF : Non, on a un thème qui est plus large, celui de la moralisation de la vie publique. Beaucoup de choses seront évoquées. Après, on verra s'il y aura des questions directes sur les affaires, ce n'est pas encore décidé.
Les gens réclament plus d'échanges spontanés entre les candidats. Est-ce que c'est possible dans un format aussi restreint ?
RE : On jugera en fonction de la qualité de l'échange. Si c'est un échange qui est vraiment intéressant et qui concerne tous les candidats, pourquoi pas. Si c'est un échange personnel, sans aucun sens, on l'arrêtera.
LF : Nous, on veut que le débat soit vivant. L'idée n'est pas de brider les candidats. Mais encore une fois, nous ne permettrons pas un pugilat. Il faut que ce soit audible pour les téléspectateurs. On suscitera le débat mais pas dans n'importe quelles conditions.
Vous préférez un débat de fond ou un débat qui tourne à qui enverra la meilleure punchline ?
RE : Tous les candidats préparent ce débat et s'ils arrivent à placer une expression forte qui sera retenue, tant mieux pour eux ! Mais leur enjeu c'est quand même vraiment de faire passer leur message et d'être audible. Pas seulement les petits candidats ! Je rappelle qu'il n'y a eu qu'un seul débat entre "grands candidats" et que cette campagne est très indécise...
LF : On sollicitera les punchlines mais le débat, c'est un débat de fond.
Solliciter les punchlines... Vous aviez démarré le débat des primaires de gauche de cette manière, Laurence. Est ce que c'est vraiment votre rôle d'appeler à cela ?
RE : Les punchlines ne sont pas le but du débat. C'est pas du tout comme ça qu'on le prépare. On veut qu'ils expliquent leur programme. Si ils ont préparé des formules choc, ça les regarde.
Mais est-ce qu'en appelant justement à la punchline comme Laurence vient de le faire, vous ne contribuez pas à la politique spectacle voire même à une américanisation du débat ?
RE : Oui, enfin, les Etats-Unis sont une grande démocratie, ce n'est pas non plus si insultant. En l'occurrence, les débats des primaires ou les débats présidentiels américains sont toujours d'assez bonne qualité. Après, on n'a pas à décider de quelle façon cela va être. Je rappelle que les petits candidats ont réclamé ce débat ainsi que trois des cinq principaux présidentiables lors du débat de TF1. Ce n'est pas de la politique spectacle, c'est du débat démocratique ! Après s'ils veulent faire du spectacle, ils seront sanctionnés. Et ceux qui veulent faire un débat de fond seront récompensés.
LF : Encore une fois, les débats sont un enjeu majeur dans cette présidentielle. Ce sont des révélateurs de la vie politique française actuellement. Les Français les attendent.
C'est le dixième débat auxquels les Français pourront assister depuis octobre. On ne frôle pas l'overdose ?
RE : Je ne crois pas. Toutes les campagnes ont un marqueur spécifique. En 2007, c'était les meetings. Cette année, ce sont les débats. Il n'est pas impossible qu'il y ait moins de débats lors de la prochaine présidentielle.
Ce n'est pas paradoxal qu'il y ait autant de débats à un moment où l'opinion publique n'a jamais été aussi indécise ?
RE : Il n'y a pas de contradiction, au contraire. Avec les débats, nous apportons une forme d'aide au jugement. Effectivement, il y a eu tellement de rebondissements qu'une bonne partie des Français est dans l'indécision. C'est bien pour cela que chacun devra pouvoir s'exprimer dans ce débat.
LF : Ce n'est pas parce qu'il y a une incertitude dans le vote qu'ils ne sont pas intéressés. Regardez le score de TF1 ! 10 millions, c'est énorme ! Il y a une appétence des Français pour la matière politique. Ils sont indécis mais ils ont envie d'en savoir plus, ce n'est pas du tout paradoxal.
Finalement, ce n'est pas aussi un peu l'échappatoire aux interviews politiques traditionnelles où on ne parle pas autant des programmes ?
RE : C'est exactement cela. Avec le débat, on revient sur le fond. Dans une interview, on met le doigt là où ça fait mal. Un débat, c'est la comparaison. C'est une bonne manière de remettre la campagne sur le fond.
LF : Regardez la primaire de droite ! On a parlé que du fond pendant les débats. Idem pour la primaire de gauche. Le débat de TF1, c'est le seul moment depuis fin janvier où on a parlé du fond. Avant et après, les affaires ont tout parasité.
BFMTV est régulièrement la cible de Marine Le Pen. Lors des primaires de gauche, Arnaud Montebourg avait taclé Vincent Bolloré, actionnaire de CNews. Vous vous attendez à être attaquée ce soir ?
RE : Bien sûr, nous nous y sommes préparées. Nous savons que l'instrumentalisation des médias est dans l'arsenal de l'argumentaire de certains candidats. On aura notre réponse mais on n'en fera pas une affaire.
LF : On laissera glisser mais on sait déjà ce qu'on va leur répondre !
Et quelle sera cette réponse ?
LF : Vous verrez. Il faut bien laisser un peu de suspense (rires).
Vous avez toutes deux plusieurs campagnes à votre actif. Quelle est votre regard sur celle qui est en train de se dérouler ?
LF : Totalement imprévisible !
RE : On est dans une campagne qui ressemble à 2002 mais elle est encore plus incertaine. En 2002, il y a eu la surprise de Jean-Marie Le Pen. Là, il n'y aura pas cette surprise. En revanche, il se passe tous les jours quelque chose. Les rebondissements sont permanents. L'élimination de Sarkozy, Hollande qui ne se présente pas, les affaires autour de François Fillon, Macron qui reste haut dans les sondages... Je vais vous dire, je suis persuadée que cette campagne restera imprévisible jusqu'à la dernière minute. Il faut rester très humble : Tout est possible.
Après cette campagne, vous avez le sentiment d'avoir adopté une lecture plus froide des sondages ?
LF : Clairement, oui.
RE : On a d'autres instruments. On lit aussi des études faites sur d'autres critères. On a aussi du nez, de l'expérience, on sent les choses.
Vous n'en aviez pas trop eu sur François Bayrou...
RE : Oui, je m'étais avancée sur le sujet mais je me suis excusée tout de suite. Il y avait eu des signaux qui laissaient penser qu'il se présenterait... C'était une erreur assez isolée.
Il y a aussi eu toute une période où un certain nombre de commentateurs et éditorialistes voyaient déjà Alain Juppé à l'Elysée...
RE : Les journalistes n'ont jamais dit "Juppé sera élu", jamais !
Une dernière question sur l'organisation entre vos deux chaînes. Étant donnée la situation de CNews, où les effectifs manquent, c'est clairement BFMTV qui a pris le lead sur ce débat ?
RE : Oui mais franchement, ça s'est bien passé cette fois. Le premier débat, c'était vraiment compliqué, la période était très difficile, nous n'avions plus vraiment d'interlocuteur à CNews. Mais cette fois, les choses se sont stabilisées, nous avons retrouvé un fonctionnement normal. Pour preuve, nous sortons d'une réunion où il y avait trois représentants de CNews et trois représentants de BFMTV. Ce sera pareil sur le plateau.
LF : Je ne souhaite pas m'exprimer sur le sujet.