Un patron en colère. Ce mardi matin, "Libération" consacre sa Une et quatre pages à la "Ligue du Lol", du nom de ce groupe Facebook aujourd'hui disparu, accusé de cyber-harcèlement entre 2009 et 2012. Laurent Joffrin, directeur de la publication et de la rédaction, y signe un édito au vitriol intitulé "Une agressivité systématique érigée en 'culture'". Un point de vue d'autant plus attendu que c'est un article publié vendredi dernier sur "Check News", le service de vérification en ligne du quotidien, qui a déclenché une véritable libération de la parole sur Twitter, incitant les victimes de l'époque à témoigner des intimidations et moqueries dont elles avaient fait l'objet.
De plus, comme ne manque pas de le rappeler Laurent Joffrin, "cette 'Ligue du Lol' comprenait parmi ses animateurs ou contributeurs deux journalistes de 'Libération' et deux autres qui y ont travaillé". Parmi eux, Vincent Glad, fondateur de la "Ligue du Lol" suspendu à titre conservatoire, une mesure "qui ne présage pas des décisions qui seront prises une fois mis au jour les éléments requis" dans le cadre de l'enquête interne qui a été ouverte, précise le directeur de la rédaction.
"Loin d'être une 'libération de la parole', cet épandage d'immondices verbaux est avant tout une régression de la vie en commun, qui consiste à tourner en dérision le respect minimal dû aux personnes, surtout lorsqu'elles font partie d'une minorité ou d'un groupe particulier", déplore Laurent Joffrin, pour qui "l'humour a bon dos". Et de pointer "une tripotée de clichés sexistes, machistes, homophobes et parfois racistes" ou encore un "sport anonyme et défoulatoire" s'attaquant à "de jeunes gens honorables, souvent en situation plus fragile que celles de leurs courageux agresseurs".
Pour éviter que cela ne se reproduise, le responsable annonce le lancement imminent d'une "une réflexion sur les règles qui doivent présider à l'expression des journalistes sur les réseaux sociaux quand ils ne s'expriment pas au nom du journal". S'il convient que "chacun est libre de ses opinions", Laurent Joffrin n'en rappelle pas moins que "le caractère public des réseaux sociaux fait que le journal est de facto concerné, de près ou de loin, par les messages postés sur Twitter ou Facebook par ceux qui y travaillent". La précaution prise par des journalistes qui mettent en exergue que leurs tweets n'engagent qu'eux, et pas leur employeur, ne suffit donc plus.
"Tout cela ne dispense pas d'une réflexion sur cette 'culture' du clash, de l'invective, de l'insulte permanente, de la parodie cruelle, de l'attaque au-dessous de la ceinture, de l'acharnement obsessionnel, qui infeste les réseaux, et en particulier Twitter, souvent camouflés derrière des pseudonymes à l'humour douteux", affirme enfin Laurent Joffrin pour qui les politiques ont eux aussi leur part de responsabilité dans le climat délétère actuel qui constitue, selon lui, "une régression de la vie en commun".