Huit mois après son arrivée à France Télévisions, la nouvelle présidente Delphine Ernotte a dû faire face à de nombreuses polémiques et a lancé plusieurs chantiers. Elle dévoile à puremedias.com sa vision stratégique pour l'entreprise publique.
Propos recueillis par Julien Bellver et Benoît Daragon.
puremedias.com : Vous êtes à la tête de France Télévisions depuis huit mois. Quel premier bilan faites-vous ?
Delphine Ernotte : C'est un peu tôt pour faire le bilan ! J'ai plutôt l'impression d'être portée et de porter moi-même une dynamique. Je ne suis pas déjà en train de m'arrêter pour regarder derrière moi. Ce que je peux dire, c'est que des choses ont déjà changé depuis huit mois. Financièrement, on a retrouvé l'équilibre en 2015 et on va le tenir en 2016. On a organisé les assises au coeur de l'entreprise, ici à Paris mais aussi en régions et en Outre-mer. Cela m'a permis de nourrir le projet stratégique que j'ai présenté cette semaine aux instances représentatives du personnel. On a beaucoup travaillé sur une meilleure maîtrise des contenus que nous produisons, avec l'accord du 10 décembre avec le monde de la production. Et ça, c'est une étape majeure pour l'avenir du groupe. Et puis, le 1er septembre prochain, on va lancer l'offre d'information de l'audiovisuel public avec nos partenaires.
Pensiez-vous que la tâche serait si difficile ? L'affaire Newen par exemple vous a occupée une bonne partie de l'automne...
Rétroactivement, je pense que l'affaire Newen a finalement été une polémique positive pour l'entreprise. Ca a montré que d'abord, on ne se laissait pas faire. Et elle nous a permis de trouver un accord positif pour le groupe avec le secteur de la production. On a su retrouver des relations saines avec les producteurs.
Les polémiques ont été nombreuses : le départ de Philippe Verdier, la programmation de "On n'est pas couché", Marine Le Pen qui annule DPDA, le départ de Pascal Golomer, le nom de la chaîne info, la grève des salariés, la polémique sur la fondation des femmes, la motion de défiance, etc. Pensiez-vous qu'en plus de votre travail de réforme, vous auriez à gérer autant de controverses en six mois ?
Oui je m'attendais à ça ! Les sujets que vous énumérez, pour moi, c'est l'écume du quotidien. Ce qui est impressionnant dans ce monde, c'est que tout est médiatisé. Des informations et des interprétations pertinentes se mélangent avec des rumeurs parfois infondées. C'est un monde où il y a très souvent de la fumée sans feu et ça, c'est nouveau pour moi. On touche à un sujet essentiel : la mission de service public, une mission citoyenne. Je veux redonner un élan créatif à cette maison. Encore plus que ces dernières années. Que sur nos écrans, il y ait des oeuvres françaises qui donnent notre point vue sur le monde, qui mettent en avant notre culture, que l'on joue ce rôle de passeur entre la richesse de la culture française et les téléspectateurs. Que l'on défende notre sens de l'information. C'est pour ça que je me lève le matin.
En 2015, le budget de France Télévisions était à l'équilibre. On dit merci Delphine Ernotte ou merci Rémy Pflimlin ?
On dit merci Rémy Pflimlin ET merci Delphine Ernotte ! Je ne me suis jamais opposée à mes prédécesseurs. J'ai du respect pour l'action qui a été menée avant mon arrivée.
Les économies vont continuer ? Beaucoup d'émissions ont été supprimées...
Il y a des économies dans les grilles. Mais les programmes qui s'arrêtent le sont principalement dans une quête de renouvellement. Il y a des émissions qui se terminent, d'autres que l'on tente de relancer, et d'autres qui continuent. Ce n'est pas toujours facile pour les personnes concernées surtout quand ça s'arrête après plusieurs saisons. Mais c'est logique que l'on s'interroge sur l'avenir de notre offre de programmes.
Donc finalement, vous n'avez pas besoin de fromage et de dessert...
La question du financement de la télévision publique est toujours sur la table. Elle ne l'a pas quittée depuis l'arrêt de la publicité après 20h. Ce n'est pas moi qui doit la trancher mais l'Etat actionnaire. Le dossier reste ouvert. Moi, mon rôle c'est de dire qu'on a une mission, qui est partagée par l'ensemble des salariés de cette maison et qui est utile pour l'ensemble de la société puisqu'on éduque et qu'on informe en toute indépendance.
La rallonge de l'Etat obtenue en 2016 (25 millions d'euros), vous l'auriez eue sans cette petite provocation ?
Peut-être pas... (elle sourit).
Vous êtes toujours favorable à un retour de la publicité après 20h et à une augmentation de la redevance ?
Le modèle économique idéal c'est un mix entre des ressources publiques pérennes et des ressources propres à nos activités. Il faut que les ressources publiques nous aident à nous transformer. On sait qu'on est dans un monde en pleine mutation avec la numérisation de la société. Une chaîne, ce n'est plus uniquement un canal où on diffuse de la télévision, mais c'est aussi une offre délinéarisée, une présence sur les réseaux sociaux. Il faut s'interroger sur la façon dont nos contenus sont présents sur Facebook, comment on enrichit notre offre sur internet. C'est une transformation profonde qui nécessite des investissements. Et il faut les faire maintenant.
Ce sont des investissements qui peuvent être rentables ?
Moi je pense qu'ils sont essentiels. L'intérêt de France Télévisons réside dans le poids que cette entreprise publique représente dans la création audiovisuelle et dans l'information en France. Ce sont nos deux piliers. On représente 50% des investissements de la création audiovisuelle. 60% de la fiction et 60% du documentaire ! C'est colossal. Ce sera notre force dans l'avenir. Si un jour il n'y a que des belles plateformes numériques américaines, avec plein de belles séries, que moi j'adore regarder par ailleurs, à quel moment on se sentira encore Français si on n'a plus, sur nos écrans, l'exposition de notre façon de vivre et de voir la vie ? On a besoin d'exposer notre point de vue sur les enjeux sociaux, politiques, économiques, etc.
D'où le lancement en mars 2017 d'une plateforme spécifique à France Télévisions. Une sorte de Netflix de service public...
L'idée n'est pas de faire la même chose que Netflix mais de porter haut les oeuvres françaises, les fictions, le cinéma, le documentaire, l'animation qui sont extrêmement riches et réputées. C'est une vraie mission culturelle.
Ce sera le même modèle économique que Netflix : un abonnement mensuel d'une dizaine d'euros ?
Oui, mais c'est beaucoup trop tôt pour vous donner le montant de l'abonnement. Le modèle économique n'est pas encore finalisé.
Il va falloir renégocier tous les accords de production ?
Oui, il faut rediscuter d'un partage des revenus. Mais on a une convergence de vue avec le monde de la production car c'est aussi leur intérêt de mieux exposer les oeuvres et de leur trouver une deuxième vie après leur diffusion sur nos antennes. Cette nouvelle économie n'a qu'un seul but : permettre de mieux financer la création.
Nicolas de Tavernost se réjouissait d'avoir racheté les droits de "Fais pas ci, fais pas ça" pour 6ter. Ca vous a agacé de voir une de vos séries phare passer à la concurrence ?
Non, car on l'a décidé. On avait un droit de préemption. Je suis pour la circulation des oeuvres.
A SUIVRE > La deuxième partie de notre entretien.