Interview
Takis Candilis (P1) : "Notre principal concurrent aujourd'hui sont les plateformes mondialisées"
Publié le 13 décembre 2019 à 17:06
Par Benjamin Meffre
Le numéro 2 de France Télévisions accorde une interview exclusive à puremedias.com.
Takis Candilis Takis Candilis© GUSTINE Gilles
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Premier bilan de saison pour France Télévisions. A l'approche des fêtes de fin d'année, puremedias.com a pu s'entretenir longuement avec Takis Candilis, directeur général délégué à l'antenne et aux programmes du groupe public. Au cours de cet entretien en trois parties, le numéro 2 de France Télévisions a notamment accepté de faire un point sur le début de saison 2019-2020 de ses antennes. Il a également profité de l'occasion pour évoquer la concurrence féroce des plateformes, les projets d'émissions de France Télévisions, ainsi que son avenir personnel au sein du groupe. Place à la première partie de cet entretien.

Propos recueillis par Benjamin Meffre.

puremedias.com : Quel premier bilan général faites-vous de ce début de saison 2019-2020 ?
Takis Candilis : Le bilan est globalement très positif. Pour parler des audiences qui sont généralement le juge de paix dans notre métier : au-delà des scores en croissance sur les individus de quatre ans et plus, nous progressons sur l'ensemble des publics auxquels on s'intéresse, qu'il s'agisse des 4-14 ans, des 15-24 ans, des actifs, des SVODistes - nous suivons les foyers abonnés à la SVOD -, des familles - soit les foyers avec des enfants de moins de 15 ans -, des retraités jeunes et plus anciens. Nous sommes en croissance partout par rapport à l'année dernière sur ces publics, et c'est un vrai motif de satisfaction.

Avez-vous prévu une programmation spéciale pour les fêtes de fin d'année ?
A partir de ce samedi, il y aura tous les soirs et jusqu'au 1er janvier, au moins un divertissement ou un grand spectacle inédit en prime time sur l'une des antennes de France Télévisions. Les propositions seront très variées, de "Boyard Land, notre nouveau jeu, à une soirée en hommage à Maria Callas avec Roberto Alagna, un grand concert de Gims à Marrakech, ainsi qu'une offre originale forte en documentaires avec notamment "Notre Dame de Paris", "La Guerre des Trônes", sans oublier la première diffusion du film d'animation "Les As de la jungle". Enfin, pour le réveillon du 31, un grand prime de divertissement proposé par France 2 et animé par notre trio de choc : Faustine Bollaert, Daphné Bürki et Sophie Davant. Une soirée exceptionnelle pour finir l'année en beauté.

L'un des grands évènements de ce début de saison sur France Télé, a été "La course des champions". Cette émission a essuyé un revers d'audience pour ses deux premiers numéros diffusés le samedi. Reviendra-t-elle sur France 2 ?
Cela va revenir, oui. Nous avons encore deux numéros à diffuser. Comme initialement prévu, nous les programmerons dans le contexte des Jeux olympiques de Tokyo (en 2020, ndlr) en prime sur France 2. Nous avons innové, à l'instar de "La lettre" (animée par Sophie Davant, ndlr), "La boîte à secrets" (animée par Faustine Bollaert, ndlr) ou bientôt avec "Boyard Land" (attendu le 21 décembre, ndlr). C'est notre rôle de prendre des risques. Les programmes ne sont pas une science exacte. Avec "La course des champions", nous sommes contents d'avoir touché les publics que nous visions, à savoir les jeunes et les enfants. En revanche, ce programme n'a pas eu l'adhésion des publics plus âgés. Mais nous sommes très heureux du travail qui a été fait avec Teddy Riner.

"Nous sommes très fiers de l'émission d'Hugo Clément" Takis Candilis

Les scores de ce programme ne montrent-ils pas qu'attirer les jeunes et les vieux devant le même poste de télévision est devenu impossible ?
C'est là où la logique de programmation du groupe trouve toute son efficacité. Je ne pense pas qu'on soit obligé de s'adresser à tous les publics avec chacune des émissions. Cela n'a pas de sens. Nous travaillons donc dans une logique verticale avec une programmation chaîne par chaîne, en linéaire et numérique, et sur une complémentarité horizontale qui nous permet, à chaque moment, d'avoir une alternative pour toucher l'ensemble de nos publics. C'est toute la logique de la réorganisation d'il y a un an et de la programmation actuelle.

Il y a une forte hémorragie des téléspectateurs le week-end, notamment des plus jeunes, happés par les plateformes. Ne faut-il pas baisser vos investissements dans les programmes qui leur sont destinés ces jours-là ?
Non, je crois que notre rôle n'est jamais de se dire qu'il faut lâcher tel ou tel type de public. Nous devons nous adresser à lui là où il est. On voit bien qu'un même programme diffusé en linéaire ou en replay n'attire pas le même public et qu'il est plus jeune en replay. C'est tout cet équilibre qui fait que notre programmation doit, à tout moment, s'adresser à l'ensemble. C'est pour cela que nous travaillons sur Slash, sur Okoo, sur Lumni, sur france.tv avec nos offres récentes de Noël, "France.tv refait année", qui offre 100 heures de programmes en replay et pour 1 mois.

"Sur le front", le documentaire d'Hugo Clément, avait aussi pour vocation d'attirer un public plus jeune en linéaire. Pensez-vous avoir atteint cet objectif au vu de son audience décevante ?
Ce que nous faisons avec Hugo Clément ne se mesure pas uniquement à l'audience sur France 2 en prime time. Rappelons qu'il propose avec succès chaque semaine sur Facebook Watch et sur france.tv Slash ses enquêtes, ses stories avec un impact et un dialogue ininterrompu avec les internautes. Hugo Clément est un écosystème à lui tout seul si je puis dire. Tout le travail qui est fait en amont et en aval des émissions sur le numérique est tout à fait important. A 9h02 le lendemain de l'émission, après la révélation des audiences, j'ai d'ailleurs immédiatement appelé Hugo pour lui dire tout le bien que je pensais de son émission, dont nous sommes très fiers dans sa forme, comme dans son fond. Créer une incarnation en télé est un travail long et difficile. Ce garçon est très connu d'un certain public, et ne l'est pas encore d'un autre. Nous allons construire cette relation, ce dialogue avec un public plus large.

Au-delà du cas d'Hugo Clément, n'y a-t-il pas d'incompatibilité de langage ? Peut-on avoir le même langage sur le numérique et le linéaire et trouver son public sur les deux supports ?
Hugo Clément a justement utilisé deux langages différents avec "Sur le front". Il a un langage sur le numérique plus court et plus incisif. Sur le linéaire, il a construit un discours et une forme plus classiques.

"Il y aura des primes de 'Un si grand soleil'" Takis Candilis

Allez-vous faire des modifications pour le deuxième numéro ?
Je n'ai pas encore vu les pré-montages du deuxième épisode. L'équipe magazine travaille avec lui. Nous verrons bien après en avoir discuté. Pour en avoir parlé avec lui - et c'est d'ailleurs sa grande qualité -, il a fait son auto-critique et nous avançons dans la bonne direction.

"La course des champions" et "Sur le front" voulaient rajeunir l'audience en linéaire dans deux genres différents. Leurs scores n'ont-ils pas refroidi votre ambition dans ce domaine ?
Je pourrais vous citer d'autres lancements et programmes qui ont la même vocation et qui ont fonctionné. Si nous regardons l'ensemble de nos proposition et leur richesse, il n'est pas grave d'en avoir quelques unes qui fonctionnent un peu moins bien de temps en temps, surtout si elles sont dans nos missions. C'est une question d'équilibre entre des rendez-vous populaires et des prises de risque. L'offre de France Télévisions est multiple, globale, avec à l'intérieur des pleins et des déliés, comme on pourrait dire d'une écriture.

Quel bilan tirez-vous de la mise à disposition du preview ? Cela n'a-t-il pas déshabillé Paul pour habiller Jacques ?
Nous sommes très contents. Ces audiences sont incrémentales, c'est à dire qu'elles s'additionnent aux autres. Le visionnage dès 6 heures de toutes nos soirées comptabilise 1 million de vidéos vues par semaine. Nous avons permis à un public en mobilité d'accéder à des programmes qu'il n'aurait pas obligatoirement eu le temps de voir le soir. Ce qui fonctionne particulièrement, ce sont les trois feuilletons, "Plus belle la vie", "Un si grand soleil", et "OPJ" (sur France O, ndlr). Les fictions et les documentaires marchent très bien également. Les pics d'audience sont intéressants : entre 6h et 8h, avant d'aller au travail, entre midi et 13h30, à l'heure du déjeuner, et enfin entre 18h et 20h, lors du retour du travail. Ce sont des publics qui se sont ajoutés aux replays, dont l'audience n'a pas diminué.

Puisqu'on parle des feuilletons, à quand un prime de "Un si grand soleil", très attendu par les fans ?
Nous espérons un jour en faire. Mais il faut se rendre compte que nous diffusons des originaux cinq jours par semaines sans aucune vacance. C'est une mécanique de précision, très complexe et lourde à mettre en place, autant en écriture qu'en production. Avant de pouvoir produire en plus un prime, il va nous falloir un petit peu de temps, comme à "Plus belle la vie" à l'époque d'ailleurs. Mais je vous le dis : il y aura à n'en pas douter des primes de "Un si grand soleil".

"Nous avons une carte phénoménale à jouer face aux plateformes : le local" Takis Candilis

La télévision a perdu l'année dernière 1 million de téléspectateurs en prime time. La dégringolade se poursuit-elle ?
C'est un phénomène mondial qui dépend des offres de la SVOD. Aux Etats-Unis, les networks américains règlent maintenant leur programmation sur la sortie des grandes séries des plateformes. Nous n'en sommes pas là en France mais nous nous rendons compte que quand sort une nouvelle saison de "The Crown" ou de "La Casa de Papel", il y a une déperdition d'audience à la télévision française le week-end, moment où on a le plus de temps pour du "binge-watching". Je ne considère pas cela comme une fatalité. A nous de parler à ce public avec une offre attractive, en nous disant que notre principal concurrent aujourd'hui sont les plateformes mondialisées. Mais nous avons une carte phénoménale à jouer : la proximité et la connaissance de nos publics, bref le local.

Vous nous dites toujours "le local, le local". Qui nous dit que ces firmes aux poches pleines ne le maîtriseront pas aussi bien que vous d'ici cinq ans ?
Bien malin celui qui croit pouvoir savoir ce qu'il se passera dans cinq ans. Il y a une réalité. Tout d'abord, il va y avoir une concurrence féroce entre ces plateformes. Pour amortir leurs investissements pharaoniques, les plateformes vont devoir aller chercher de nouveaux publics dans des pays où elles cherchent à s'implanter. Je pense à l'Asie, notamment à l'Inde, mais aussi à l'Afrique. Or, le taux d'investissement pour gagner quelques centaines de milliers de nouveaux clients en France sera supérieur à celui nécessaire pour gagner quelques millions de foyers dans ces zones. On peut donc imaginer que ces plateformes vont davantage se concentrer sur ces grands bassins de population dans les années à venir. Et pour revenir à votre question : certainement ! Ils vont apprendre, et essayer de capter le public en France. Mais nous maîtrisons le savoir-faire français, eux beaucoup moins.

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