Depuis octobre, Edouard Baer pose chaque matin sa fantaisie et sa poésie sur les ondes de Nova. 25 ans après avoir été révélé sur cette même antenne dans "La Grosse Boule", il revient ainsi dans la station fondée en 1981 par Jean-François Bizot et rachetée en 2016 par Matthieu Pigasse. Visage de la relance imaginée par Bernard Zekri, Edouard Baer anime ainsi chaque matin "Plus près de toi", la matinale de la station diffusée de 7h à 9h. Rencontre.
Propos recueillis par Benjamin Meffre.
puremedias.com : Cinq mois après votre entrée en "matinalerie", comment va le corps quinquagénaire du noctambule Edouard Baer ?
Edouard Baer : Oui, les matinaliers m'avaient prévenu. Eh bah c'est pas terrible ! Je n'ai pas réussi à avoir une véritable hygiène de vie. J'ai des hauts et des bas. C'est un peu les montagnes russes. C'est fatiguant. Surtout que j'avais la promo de mon film à assurer. Et puis j'avais le théâtre au début de l'année. Il y avait tout un mélange de trucs. Mais ça va !
Vous revenez à Nova 25 ans après avoir animé "La Grosse Boule" en 1992. Vous vouliez marcher sur les pas de votre jeunesse évanouie ?
Ouh la non, je ne me dis pas ça. Je me dis que ça n'a aucun rapport, que je viens dans une autre radio. Ce n'est plus le même lieu. Je ne connaissais quasiment plus personne ici. Je voulais vraiment suivre Bernard Zekri que je n'ai pas connu comme journaliste à Nova d'ailleurs, mais à iTELE et par Jean-François Bizot. Cela m'enlève toute nostalgie. Ca ne m'intéresse pas ce côté nostalgique. Ca serait horrible ! Ca me foutrait le cafard.
Pourquoi accepter ce défi si engageant alors ?
Parce que j'ai toujours aimé la radio. Même quand on fait de la promo, ce qu'on aime faire, c'est la radio. Il y a beaucoup plus de liberté. La parole est moins contrôlée qu'à la télévision. On ne se sent pas acculé par la caméra, par l'audimat, le timing, la peur des gens en face. On sait qu'on n'est pas filmé en train d'écouter, donc les gens écoutent vraiment. Il y a vraiment un truc sur la parole qui est beaucoup mieux. Et puis j'ai toujours aimé Nova même sans y être. C'est une radio qui a une identité particulière - musicalement, culturellement. Et puis c'était un peu en dehors du mercato des médias avec tout d'un coup, des gens qui surveillent votre courbe d'audience.
Mais paradoxalement, vous êtes beaucoup filmé pendant cette émission...
Oui, mais c'est par nous ! C'est un peu obligatoire aujourd'hui puisque le son ne s'échange pas sur les réseaux sociaux. C'est quand même important pour une petite radio d'exister en dehors de son champ habituel d'auditeurs. Ce n'est pas une radio qui s'est payé beaucoup de pub en dehors. Nova cherche donc à exister ailleurs. Ils ont une forte identité, avec un site internet assez fort que les gens vont voir. Au début, j'étais très, très réticent. Je me suis engueulé avec l'équipe du web d'ailleurs. Ils m'ont dit que c'était un peu la seule contrainte car sinon, on ne parlerait pas assez de l'émission. Avec notre ami Nicolas Lartigue - que je trouve vraiment bon et qui a inventé une façon de filmer - on s'est dit qu'on ne mettait rien de plus de deux minutes. On regarde ensemble, on essaye d'en mettre le minimum. Sinon, c'est un peu décevant parce qu'on essaye avant tout de créer un spectacle sonore. Si on voit la réalité, c'est toujours décevant. Deux mecs devant des micros... Donc on en met au compte-gouttes, un peu comme des petits teasers...
"Plus près de toi" est un "objet radiophonique non identifié" assumé. Quel pacte voulez-vous passer avec l'auditeur ?
"Pacte", c'est joli. Le pacte, c'est de s'intéresser aux gens qui nous écoutent autant qu'ils s'intéressent à nous. On veut être dans une conversation, pouvoir dialoguer avec des gens connus ou pas, en région ou à Paris. Le pacte est de s'ouvrir au monde ensemble chaque matin.
Vous voulez être un "enchanteur d'aurores" ou c'est pompeux ?
Ah c'est joli. Oui, j'aimerais beaucoup. Non mais c'est pompeux mais... Enchanter les choses oui. Essayer de voir le merveilleux dans le quotidien, un petit peu, oui... Essayer de mettre de la rêverie ou de l'enthousiasme dans des choses normales, un petit peu oui, sûrement.
Au-delà de faire penser à un morceau d'extrême onction, votre titre d'émission annonce une envie de créer de la proximité avec les gens. Pensez-vous que la radio et les médias en manquent ?
La radio peut-être moins... Mais l'information un petit peu. Moi ça m'intéresse autant de traiter l'information intime que l'information nationale ou internationale. Je trouve que c'est important, dans notre vie, si nos enfants ont perdu une dent, si notre fille est embêtée à l'école, s'il a fait beau, s'il y a un problème avec la récolte... Ca m'amuse de traiter tout avec un peu la même curiosité qu'un décret de Trump. C'est aussi un moyen de s'en sortir. Je ne peux pas toute la journée avoir une nouvelle déclaration raciste de Trump comme si c'était ma vie de tous les jours. Il ne faut pas se faire avoir. Je ne voudrais pas être de mauvaise humeur le matin parce que Poutine a fait ça, Trump ou Marine Le Pen a dit ça. Je préfère être de bonne humeur parce que quelque chose m'a fait sourire dans la rue. Je trouve qu'on devrait partager ça aussi, faire remonter d'autres choses.
Avec une dimension poétique assumée comme lors de vos improvisations ?
Bah oui, c'est venu petit à petit. Ce n'était pas prévu mais moi j'aime bien faire ça : improviser des choses sur des fonds musicaux inouïs. C'est venu de plus en plus. C'est aussi parce qu'on avait fait une vidéo sur le Nouvel an et je me suis aperçu que les gens aimaient bien. Ca fait plaisir que le plus bizarre de cette émission soit ce que les gens préfèrent. Finalement, ça rassure. Quand ce n'est pas formaté, les gens aiment bien.
La poésie jaillit selon vous forcément de l'impromptu, de l'imprévu ?
Pour moi oui. C'est la poésie du quotidien : transformer du banal en extraordinaire. Moi j'aime bien ça. C'est un truc pour s'en sortir. Je cherche des solutions pour échapper au gris des choses, à la chape de plomb. C'est une porte de sortie. Si je peux la faire partager, c'est bien oui.
Nova n'a pas beaucoup de fréquences. Etes-vous du coup condamné au coup d'éclat comme lorsque vous avez "hacké" France Inter ?
Honnêtement, c'était plus un geste gratuit. C'était un canular. Je ne m'étais pas dit que ça développait l'antenne. Ce n'est pas mon sujet. Je ne suis pas un agent de publicité de la marque. Je ne me rendais d'ailleurs pas compte que de faire un truc aussi con qu'arriver sur une autre antenne, ferait autant parler. Tant mieux !
C'est un vrai piratage ?
Je ne vous le dirai pas (sourire). On l'a fait avec Virgin après. On va peut-être le faire avec une chaîne de télé.
Quel est l'objectif ? Montrer que vous êtes une vraie confrérie des matinaliers ou aussi s'appuyer sur leur audience pour faire parler de vous ?
Au départ c'est un canular. C'est comme le mariage de Coluche et Le Luron. C'est un geste gratuit. C'est une folie du quotidien. C'est comme quelqu'un qui traverse le champ d'une caméra ou Michel Serrault qui se déshabille dans un journal télévisé. L'idée est de faire un truc dans des endroits qui ont l'air très sérieux, très formaté, et sans raison. C'est une incursion du bizarre. Ce sont des petites choses. J'aimais bien quand on jouait au théâtre à la Cigale. J'avais un copain qui jouait dans une pièce à côté, au théâtre de l'Atelier. Je trouvais qu'il saluait très bien, à l'ancienne. Du coup, il venait saluer avec nous alors qu'il ne jouait pas dans la pièce. C'est un peu le même genre de trucs (rires).
Donc à Nova, on n'a pas de pétrole - les fréquences - mais on a des idées ?
Oui, mais ça serait bien d'avoir des fréquences quand même ! Le plaisir de la radio, c'est quand même d'être écouté loin et pas que dans votre rue. On est allé à Brest récemment avec toute l'équipe de l'émission. On avait 400 personnes qui se sont levées le matin pour nous voir en direct. C'est incroyable ! On va d'ailleurs faire une grande tournée de villes au printemps. J'espère en tout cas que Nova va avoir de plus en plus d'antennes. J'aimerais bien.
En attendant, vous misez beaucoup sur les réseaux sociaux ?
Attendez, on "mise". Moi j'ai envie que les choses soient vues mais il n'y a pas une organisation, une grande réunion pour décider de cela. Si vous saviez comment ça fonctionne ici (rires)... On fait un truc. Il y a Nicolas qui filme. On le met sur internet, on voit que ça fait des vues. C'est repris par des sites. Mais ce ne sont pas des équipes organisées. L'équipe du web de Christophe Payet est arrivée il y a seulement trois mois ici. Tout cela est un peu bricolé. Je serais ravi qu'on soit malin... Effectivement, une fois que l'on voit que ça marche, on essaye...
Ca fait quand même parler de l'émission. Vous êtes le roi du buzz en fait, avouez-le...
Ahhhhhhh (Il s'étouffe, tousse). Tant mieux (Rires).
La musique est très présente dans votre émission, notamment lors de vos improvisations. Pourquoi ?
Moi, ca m'aide à improviser. Il y a un type de musiques, des accompagnements de Léo Ferré, des musiques de compositeurs du cinéma des années 1970 comme François de Roubaix ou Francis Lai, Philip Glass, Ennio Morricone. Quand je les entends, ça me parle. Il y a des images qui passent. Ce sont des supports. Ca m'aide à partir. "La mémoire et la mer" de Ferré notamment m'aide bien. Ca crée une atmosphère qui isole.
Vous réveillez beaucoup de célébrités par téléphone pour leur poser des questions souvent très intimes. Au delà de l'aspect comique de ces séquences, pensez vous qu'un Homme se comprend par ses matins ?
Par ses moments d'intimité oui en tout cas. On dit par exemple qu'il ne faudrait comprendre les hommes qu'à certaines heures de la nuit quand ils sont seuls avec leurs problèmes d'homme, c'est à dire des problèmes de mélancolie ("Richard", Léo Ferré, ndlr). En tout cas, en dehors de la vie de bureau, de la vie sociale normale, oui. Le matin très tôt, on est avant le vernis social, avant de mettre son petit costume. Dans le lit, dans la salle de bain, on est sans défense, sans arme. Et le fait d'être interviewé au téléphone fait qu'on n'est pas "dans les médias" du tout. Si on m'appelle le matin et qu'on me dit que je suis sur Nova, je parle à quelqu'un, pas à un média. On est plus naturel, comme au bistrot, le soir...
Quels sont donc les matins d'Edouard Baer alors ?
Moi, c'est ici. Ca va très vite. Les gens que j'appelle peuvent traîner un peu. Moi, je me lève un peu au dernier moment, à cinq heures et demi. J'essaye de ne pas réfléchir. Je vais sous la douche, sans réfléchir. Je ne mets même pas de musique. Je n'ai pas le temps. Je viens ici.
On est sur un savon solide ou un savon liquide ?
(Sourire) Savon solide. On est sur une brosse. On est sur un savon Roger & Gallet. On est sur un café serré. On est sur une... très mauvaise humeur avant le café (rires). J'aime beaucoup ces trucs un peu commerciaux du "On va partir sur" comme "On va partir sur quelque chose de très bon pour la peau" (rires).
Et après ?
Je suis à 10 minutes de la radio. Il faut que je sois là un peu avant la demie. J'ai une demi-heure pour revoir un peu le conducteur qu'a fait Eugénie Poumaillou. On s'est parlé avant. L'émission est préparée la veille. Le matin je regarde un peu la presse. Je prends l'ambiance. On rigole un peu entre nous. C'est plutôt un truc de se mettre dans l'humeur plutôt que de travail. Mon travail, c'est d'avoir envie de parler et d'être de bonne humeur le matin. Il y a des matins où je connais bien le sujet et d'autres où je ne connais rien du tout. Mais après, ce n'est pas grave. Je suis aussi là aussi pour être le candide. Je ne suis pas journaliste.
Et si vous êtes de mauvaise humeur, comment ça se passe ?
Ah bah c'est les copains qui me sauvent un peu. Atmen (Kelif, son complice à l'antenne, ndlr) avait dit ça une fois qu'on lui demandait : "Edouard anime la tranche horaire et moi j'anime Edouard !". Il y a notre ami Tito qui vient avec sa guitare, qui vient comme ça, pour le plaisir. C'est quand même formidable ! Il y a un côté veillée au feu de bois. Ca, quand même, c'est important.