Chaque vendredi, retrouvez "Médias le mag, l'interview", en partenariat avec France 5. Julien Bellver, co-rédacteur en chef de puremedias.com et chroniqueur dans "Médias le mag" le dimanche à 12h35 interrogera une personnalité des médias toutes les semaines. Pour ce 11e numéro, Julien Bellver reçoit Audrey Pulvar, journaliste sur iTELE et auteur de "Libres et insoumis" (Ed. La Martinière).
Après "Libres comme Elles" sorti il y a un an, voici "Libres et insoumis". C'était prévu dès le départ ce deuxième opus ou votre maison d'édition vous a demandé de décliner le concept après le succès du premier ?
Je n'avais pas du tout prévu de faire ce deuxième opus. Mais "Libres comme elles" a connu un beau succès, j'ai fait beaucoup de séances de signatures dans les librairies, je suis souvent allée dans les salons, et très souvent, les lecteurs me disaient qu'il faudrait faire un deuxième tome ou faire un "Libres comme eux".
Vous faites le portraits d'hommes d'exception comme Brel, Brassens, Basquiat, Philippe Petit, René Char... Pourquoi eux, qu'est-ce qui les rassemble ?
Ce qui les rassemble, c'est d'abord ce qu'ils m'ont apporté. Un peu comme "Libres comme elles" n'était pas une anthologie du féminisme mais des portraits de femmes qui m'avaient particulièrement marquée et construite, là ce sont des hommes dont l'oeuvre, le parcours, les discours, les combats m'ont inspirée depuis enfant jusqu'à aujourd'hui. C'était une façon pour moi de leur rendre hommage. C'est très personnel, et c'est un peu le propos en fait. Des biographies de ces hommes, il en existe déjà des tonnes. Donc l'idée est de raconter un peu comment, dans ma vie, ils ont changé les choses et de transmettre ce soutien à la construction de soi aux jeunes qui viennent me voir. S'ils ont un point commun, un peu comme "Libres comme elles", c'est la solitude. Je cherchais des hommes libres, j'ai trouvé des hommes seuls.
Si vous deviez écrire le même livre avec des hommes de notre époque, qui pourrait y figurer ? Dans le livre, il y a des hommes qui sont encore de notre époque... Mais c'est vrai qu'on est dans une époque qui est beaucoup plus formatée, plus standardisée à l'échelle mondiale. Cette radicalité, on l'a vu avec la disparition d'André Glucksmann cette semaine, a tendance effectivement à disparaître.
La liberté vous tient à coeur, on l'aura compris. Est-ce qu'on est toujours libre et insoumis sur iTELE ?
Insoumis, je ne sais pas. Je ne sais pas si iTELE se caractérise par son insoumission, mais par sa liberté, par son professionnalisme, sans doute, sûrement. On est toujours très professionnel à iTELE, toujours concentré sur l'idée de bien faire notre travail...
... Vous dites "toujours", malgré le changement de direction ?
Je réponds à votre question ! Et on est un média qui reste libre, très attaché à l'exercice indépendant de ce métier.
Vous ne vous êtes pas beaucoup exprimée depuis la reprise en mains du groupe Canal+ par Vincent Bolloré... Vous l'avez écouté hier ? Il s'exprimait devant les collaborateurs de Vivendi mais n'a pas dit un mot sur iTELE...
J'étais dans la salle. J'ai tendance à prendre les choses du bon côté. Je me dis que le discours était quasiment mot pour mot celui qu'il nous avait fait un mois auparavant à iTELE. Donc je me dis qu'on a eu la primeur de ce discours et que c'est peut-être pour ça qu'iTELE a été absente.
C'est un peu dur quand même, non ? Il a même parlé de D17, qui est une petite chaîne...
C'est une petite chaîne qui monte et pour laquelle il a, je pense, beaucoup de projets. Le discours était essentiellement centré sur la construction d'un grand groupe, multimédia certes, mais on a surtout parlé de la musique, des artistes Universal, de la connexion entre les différentes entités du groupe pour découvrir des talents, les faire évoluer et les faire monter au plus haut.
Vous êtes inquiète pour l'avenir d'iTELE ? Quand on interroge les salariés d'iTELE, ils sont nombreux à manifester leur inquiétude, ils ne savent pas quel est le nouveau projet, le nouveau nom, CNews, ils ne savent pas à quoi va ressembler cette chaîne... Vous avez eu des assurances de Vincent Bolloré ? Vous l'avez rencontré personnellement ?
Non, je l'ai rencontré avec le reste de la rédaction. Ce n'est pas de l'inquiétude, c'est de l'expectative. C'est vrai qu'on attend ce projet d'une nouvelle chaîne. On nous a promis beaucoup de moyens mais pour l'instant, on ne les voit pas. Au contraire, on a beaucoup de difficultés à faire notre métier, à envoyer des équipes sur le terrain. On attend de voir si les promesses n'engagent que ceux y croient ou aussi ceux qui les formulent !
On a sélectionné deux images média pour vous cette semaine. Patrick Pelloux d'un côté, Philippe Val de l'autre. Tous deux sortent un livre sur l'après-Charlie deux mois avant la date anniversaire des attentats. Cela vous inspire quoi ? C'est opportun ?
Ah oui ! Il y a énormément de livres qui sortent et qui ne le sont pas tous. En revanche, que des gens comme Philippe ou Patrick, qui ont été directement touchés, concernés par la tragédie aient le souhait de s'exprimer... En plus, ils ont des choses à dire, leurs deux livres sont importants et sont passionnants, ça me semble tout à fait légitime et normal. Je suis très attachée au respect de la façon dont chacun se débrouille avec son deuil, avec son chagrin. Ce sont des gens qui sont encore aujourd'hui dans un chagrin immense. Qu'ils le vivent comme ça, qu'ils aient envie de s'exprimer, de défendre un point de vue et qu'ils nous le disent, je ne peux pas leur reprocher.
Mathieu Madénian, qui collabore à "Charlie Hebdo", s'est offusqué de l'opportunisme des éditeurs qui sollicitent tous les anciens de Charlie pour écrire livres...
Là, on est du côté des éditeurs et effectivement, je pense qu'il y en a de nombreux qui essaient d'avoir des récits, des analyses, et il y a une profusion de livres qui ne sont pas toujours bienvenus. Moi, le propos de Philippe Val, c'est un propos clair, important et radical mais qui est nécessaire pour notre hygiène intellectuelle. Les chroniques de Patrick Pelloux sont un peu plus personnelles et puis c'est un ensemble de chroniques qu'il a publiées dans le journal et qui me touchent beaucoup parce qu'elles racontent un peu la vie de ce journal, qui a quand même été tué, assassiné. Finalement, ils ont quand même un peu réussi leur coup, les terroristes, et ça c'est dramatique.
J'ai parfois l'impression que vous vous ennuyez un peu sur iTELE. Vous n'avez pas envie de revenir sur une grande chaîne ?
Vous plaisantez ou quoi ? Je suis sur une grande chaîne, je suis dans un grand groupe ! (Rires) Premièrement, on ne me l'a pas encore proposé, ce n'est pas encore le moment, le mercato va s'ouvrir et vous avez vu que dans tous les groupes il y a de la restructuration, un peu de tangage. Si ça se fait, ça se fera peut-être au printemps. Et ensuite, je suis vraiment heureuse de faire ce que je fais à iTELE et si je donne l'impression de m'ennuyer, c'est qu'il y a un souci !