France 2 et TF1 sont les deux chaînes historiques à avoir vu leurs audiences progresser en 2014. Une bonne nouvelle pour le service public qui avait souffert en 2013. puremedias.com fait le point avec Thierry Thuillier, le directeur de l'antenne et des programmes de France 2, par ailleurs directeur général de l'information de l'ensemble du groupe France Télévisions.
Propos recueillis par Benoît Daragon.
puremedias.com : En 2014, France 2 a vu sa moyenne d'audience annuelle progresser de 0,1 point sur un an, à 14,1%. C'était inespéré ?
Thierry Thuillier : Après une année 2013 difficile, 2014 a été une année réussie pour France 2 ! C'est une très bonne performance pour la chaîne qui n'avait plus progressé d'une année sur l'autre depuis 1996. Cette hausse est structurelle car nous avons surtout progressé avec notre fond de grille, ce qui était le problème numéro un de France 2. On est passé d'un access malade il y a un an, à un access solide.
Merci Nagui !
On enregistre de très fortes progressions de nos audiences entre 18 et 20h. +46% sur les quatre ans et plus, entre septembre et décembre 2014 par rapport à la même période un an plus tôt. +73% sur les ménagères et +56% sur les 25/59 ans ! En retravaillant aussi nos émissions d'après-midi, l'ensemble de la journée a progressé d'environ 7% sur un an sur le 7-20h. La nouvelle formule du 20 Heures a permis de gagner 200.000 téléspectateurs. Ce sont de réelles performances car cela ne s'est pas passé de la même façon pour toutes les autres chaînes...
Et en prime ?
En prime aussi nous avons fait une bonne année, avec 3,5 millions de téléspectateurs chaque soir en moyenne et 14,6% de PDA. Là encore, il s'agit une progression de 0,1 point par rapport à une année 2013 plutôt bonne en ce qui concerne cette tranche horaire. Bref, France 2 a confirmé son statut de deuxième chaîne du pays.
Ce 0,1 point gagné, c'est grâce aux Jeux Olympiques d'hiver qui vous ont permis de faire deux semaines en or et un très bon mois de février à 15,6% de PDA ?
Certes, il y a eu les Jeux Olympiques de Sotchi, mais il y a eu aussi sur une autre chaîne la Coupe du monde de football. Elle aussi a enregistré de très fortes audiences, qui ont beaucoup affecté notre moyenne en juin.
14,1%, c'est un niveau satisfaisant pour la chaîne ?
Compte tenu de l'effritement de l'audience et de la poussée des dernières entrantes (RMC Découverte, HD1, 6ter, etc, ndlr), je considère que France 2 a atteint un bon niveau d'audience aujourd'hui. En 2015, on doit la stabiliser à ce niveau. Et ce sera difficile car la concurrence réagit, parce qu'il n'y a pas d'élection majeure ni de grosse compétition sportive. Mais la chaîne a désormais des fondamentaux solides avant 20h, ce qui est essentiel pour progresser.
Un des points clés de votre année a été l'access prime time. En difficulté l'hiver dernier, il a fortement remonté depuis la rentrée grâce à "N'oubliez pas les paroles" de Nagui. Qu'attendez vous de la légère refonte opérée en ce début d'année 2015 avec le remplacement de "Face à la bande" par "Pyramide" ?
La structure de l'access a retrouvé un niveau correct depuis sa mise en place en mars dernier. On a tiré les leçons des tentatives de la saison dernière (avec les émissions de Sophia Aram et de Laurent Ruquier, ndlr). Désormais, il faut donc se garder de toute révolution de la programmation. Il faut prendre des risques limités en changeant la grille par petite touche. Il ne faut pas se précipiter et laisser le temps à chaque programme de s'installer. Le fait de ne plus être sous pression grâce à la force de notre access va permettre de travailler sereinement sur notre carrefour de 18h00 qui est actuellement le plus faible de la grille.
Quand "Joker" va-t-il remplacer "Pyramide" ?
Au printemps, mais je ne veux pas vous en dire plus.
TF1 va revendre une partie des matchs de la Coupe du monde de rugby 2015. En 2011, France Télévisions avait acheté une partie de ces matchs. Vous avez déposé une offre ?
Non, puisque TF1 a, contrairement à ce qui s'était passé en 2011, limité cette fois-ci aux seules chaînes payantes, telles que Canal+ ou beIN Sports, sa consultation en vue de la revente de certains matches.
Pendant les fêtes, puremedias.com a demandé à 70 animateurs et journalistes de faire le bilan de l'année télé. Comme "émission de l'année", 12 d'entre eux ont cité "Cash investigation" d'Elise Lucet. Pourtant il n'y en a eu que deux numéros en 2014. Ce magazine sera-t-il plus présent en 2015 ?
"Cash Investigation", que j'ai décidé de programmer en prime time, sera de retour. C'est une émission très difficile à fabriquer car ce sont des enquêtes au long court et de haut niveau. Nous aurions aimé diffuser en fin d'année un numéro sur les fonds de pension, mais c'était trop tôt. On la proposera en début d'année. D'autres numéros suivront au premier semestre. On a signé pour une saison supplémentaire à partir de septembre 2015. Mais la stratégie de diffusion a changé. Il était très compliqué pour la production de produire simultanément 4 émissions à diffuser à la suite pendant un mois. Du coup, ils seront diffusés de façon événementielle quand les enquêtes seront prêtes.
Elise Lucet s'investit beaucoup dans ce magazine. Elle ne cache pas prendre plus de plaisir dans cet exercice que dans la présentation du journal. Va-t-elle quitter le 13 Heures en 2015 ?
Elle était à l'antenne hier midi et elle le sera tout le semestre ! En septembre, nous verrons. Nous en discuterons en temps et en heure avec Elise. Elle et moi sommes d'accord pour faire grandir "Cash investigation" avec les limites que je viens d'exposer. Si le magazine doit être davantage présent à l'antenne, la question du maintien d'Elise Lucet au 13 Heures se posera. Mais aujourd'hui, la question n'est pas posée.
Le magazine de faits divers "Non élucidé" ne serait pas reconduit. Vous confirmez ?
C'est exact. Nos contraintes budgétaires nous imposent de faire des choix, notamment en deuxième partie de soirée. Et donc le dimanche soir, nous diffuserons en alternance "Faites entrer l'accusé" et "Un jour, un destin". Nous avons donc annoncé aux producteurs de "Non élucidé" que ce magazine ne reviendrait pas mais ils continueront à produire les magazines "Nous" et "Dans les yeux d'Olivier".
La chaîne britannique ITV a lancé hier soir la diffusion de la saison 2 de "Broadchurch", le programme qui a réalisé le plus d'audience cette année sur votre antenne. Verra-t-on cette deuxième saison en 2015 sur France 2 ?
Pour être très honnête, on espère la proposer le plus vite possible car nous avons conscience de l'attente. Mais il faut attendre que la diffusion soit finie en Grande-Bretagne pour voir le potentiel de cette deuxième saison et pour débuter le doublage en français. Ca peut aller vite. Mais il faut que l'on arbitre avec l'adaptation française que nous préparons pour savoir si on choisit de diffuser la deuxième saison de l'originale avant ou après la VF.
Où en êtes-vous de la version française ?
Le tournage débutera au printemps. Et le casting est encore en cours.
Un des évènements du premier semestre sera le concours de l'Eurovision. Vous avez choisi les animateurs et le représentant de la France ?
Pour l'animation, c'est encore en discussion mais ce sera un duo. Et pour le chanteur, là encore c'est en cours. On veut mettre en valeur un talent de la chanson française et vous verrez, nous allons surprendre.
C'est un concours qui était diffusé jusqu'ici sur France 3. La direction du groupe privilégie-t-elle France 2 à France 3 ?
La direction des programmes de France Télévisions (Bruno Patino, ndlr) a estimé qu'il était cohérent que l'Eurovision passe sur la case divertissement de France 2 du samedi soir alors que dans le même temps, France 3 propose avec succès des fictions françaises.
Autre succès de cette fin d'année, le concours de musique et de danse classique "Prodiges". Vous avez indiqué que l'émission reviendrait mais à quelle fréquence ?
A ce stade, nous prévoyons au moins un prime. Nous voulons garder une programmation événementielle. Avec "Prodiges", on a voulu mettre en valeur les talents de la musique classique et de la danse mais on voulait éviter tout esprit de compétition. Donc on ne tient pas à multiplier les primes comme dans les autres télé-crochets.
"Prodiges" coûte cher à France 2 ?
Pas plus que certains primes. Comme c'est un objet unique, on ne peut pas l'amortir sur plusieurs semaines mais cela reste raisonnable. C'est une création française et non un format adapté, comme on le fait par ailleurs. Mais "Prodiges" est un symbole de la singularité de France 2. Cette émission devrait faire taire ceux qui disent que nous ressemblons trop aux chaînes privées.
Y-a-t-il encore de la culture sur France 2 ?
Oui et on va le prouver à plusieurs reprises au premier semestre avec plusieurs soirées théâtre comme la retransmission de la pièce "Deux hommes tout nus" avec François Berléand et Isabelle Gélinas, d'"Un petit jeu sans conséquence" et aussi de "Vous êtes mon sujet" une pièce écrite spécialement pour nous par Didier Van Cauwelaert. Au printemps, les Molière reviendront avec Nicolas Bedos.
La culture passe seulement par le théâtre ?
Il y aura aussi de l'Histoire avec des documentaires sur la libération des camps, dont on célèbre le 70e anniversaire... On sera également très présent le 8 mai pour les commémorations de la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. Il y aura une grosse journée de direct pour suivre les différentes cérémonies mais aussi des documentaires en prime time. L'objectif de 2015 c'est aussi de rester une grande chaîne généraliste, populaire et exigeante, qui met en avant ses paris. Je pense à ce documentaire très fort sur le harcèlement scolaire que l'on va diffuser en deuxième partie de soirée, avec des témoignages de gamins aussi forts. On prévoit une soirée continue sur la fin de vie avec la fiction "Des roses en hiver" avec Jean-Pierre Marielle qui sera suivie d'un débat animé par Julian Bugier.
Vous êtiez très agacé par le pré-rapport du CSA sur le bilan de France Télévisions. Sa version définitive vous a rassuré ?
Sur la partie info, je me réjouis que la version finale du rapport nous donne un satisfecit sur la qualité et la quantité des rendez-vous d'info. On a diversifié nos magazines avec de l'économie et de l'investigation. Le "Grand Soir 3" a trouvé sa place et le site francetvinfo aussi. Sur les programmes de France 2, je crois qu'il faut continuer le travail de pédagogie pour rappeler à tout le monde que les chaînes de France Télévisions ont des vocations différentes. France 2 a donc une ligne éditoriale et un rôle propre. C'est une chaîne généraliste qui doit embrasser tous les domaines : la fiction, l'info, le sport, le documentaire, le cinéma, les magazines culturels et les divertissements. BBC1 fait "Danse avec les stars" et "The Voice". France 2 fait d'autres programmes mais elle doit rester une chaîne populaire et exigeante. Et nos divertissements n'ont pas le même esprit que ceux des chaînes privées.
2015, c'est aussi la fusion des rédactions de France 2 et France 3 avec le plan "Info 2015". Avant les vacances, le SNJ s'est dit "stupéfait" pas le projet. Vous redoutez les blocages ?
Qu'il y ait des débats, des inquiétudes, voire des blocages, c'est bien normal car c'est une révolution culturelle dans la maison. On passe d'un raisonnement de rédaction par chaîne à une structure de rédaction commune au groupe. Ce projet est dans les tuyaux depuis septembre 2012. On le prépare depuis deux ans durant lesquels 150 à 200 salariés - 15% des effectifs concernés - ont participé à des groupes de travail pour réfléchir à la nouvelle organisation de façon concertée. On va le faire par étape, en faisant à chaque fois des évaluations pour voir si nos choix sont efficaces, quitte à s'adapter. Les inquiétudes sont légitimes mais elle doivent être constructives. C'est un projet stratégique éditorial et pas seulement d'organisation. Pour être ambitieux en matière d'information, il faut passer par là.
La première phase du plan, c'est un état-major commun ?
Dès septembre, on souhaiterait une nouvelle direction organisée par tranche horaire quelle que soit l'antenne, France 2 ou France 3. C'est en tout cas le projet que nous avons proposé aux instances et aux organisation syndicales fin décembre. Et nous avons aussi proposé qu'un nombre limité de services soient mis en communs. Cela devrait déjà nous permettre de fonctionner dans une autre logique sur l'ensemble des supports : les journaux, les magazines et le numérique.
2015, c'est la fin du mandat de Rémy Pflimlin. Vous souhaitez pouvoir rester dans le groupe en septembre quoi qu'il arrive ?
On verra ce qui va advenir lors de la future élection. Je suis dans le groupe depuis 1994, où je suis arrivé comme reporter avant de passer par tous les échelons. Même si je suis parti un petit moment (à iTELE, ndlr), je suis un enfant de cette maison que je connais bien. Je suis très attaché à France 2. Mais ce qui m'importera avant tout, ce sera la feuille de route et la stratégie du groupe pour les cinq années à venir. Je me déterminerai en fonction de l'ambition affichée pour France Télévisions.
Votre double casquette actuelle vous satisfait ?
En gérant les programmes de France 2 et l'information, je remplis les fonctions des anciens directeurs de chaîne, qui ont disparu avec l'entreprise unique. Je pense que cela a amélioré les synergies entre information et programmes à France 2 qui ont permis à la chaîne de mieux se porter. C'est peut-être une piste à retenir pour la suite à l'échelle du groupe France Télévisions.